Miroirs No. 3 Film allemand de Christian Petzold (2025), avec Paula Beer, Barbara Auer, Matthias Brandt, Enno Trebs, Philip Froissant, Victoire Laly, Marcel Heuperman, Christian Koerner, Hendrik Heutmann, Christoph Glaubacker, Sascha Eichenauer, Yee Him Wong, Mehmet Küçük… 1h26. Sortie le 27 août 2025.
Barbara Auer et Paula Beer
Comme Picasso a débité son œuvre en périodes au fil de ses histoires d’amour, le cinéaste allemand Christian Petzold a tourné cinq films avec pour vedette Nina Hoss, puis quatre autres à ce jour avec Paula Beer. Une complicité qui l’incite aujourd’hui à confier à l’actrice ce qui est sans doute le rôle le plus étrange de sa carrière, même si elle n’en a pas tout à fait l’âge… mais c’est une donnée qui fait partie intégrante de ce pari. En partant en week-end à la campagne avec son compagnon, leur voiture décapotable se retourne et le jeune homme est tué sur le coup. La rescapée en état de sidération est recueillie par une habitante des alentours chez qui elle se sent très vite en confiance et en sécurité, au point d’être adoptée peu à peu par cette famille en miettes dont le père et son fils vivent à une certaine distance. Jusqu’au moment où cette situation paraît de plus en plus étrange… Petzold a emprunté le titre de son film à un morceau de piano de Maurice Ravel dont l’étrangeté reflète avec une grande justesse la sérénité faussement rassurante qui y règne. Petit à petit, on réalise que le cinéaste nous a embarqué dans un drame psychologique qui n’est pas exactement ce qu’il a l’air d’être. C’est là où l’élégance de sa mise en scène remplit son rôle, avec l’irruption de cette fille providentielle et prodigue qu’incarne Paula Beer, en prodiguant autant de paix à son hôtesse que cette dernière lui témoigne d’attention, dans un rapport étonnamment harmonieux qui n’a besoin que de peu de mots pour s’épanouir et rend à la pianiste son plaisir de jouer, même si c’est sur l’instrument d’une autre.
Barbara Auer
Un film peut parfois en cacher un autre. Comme son titre le souligne, Miroirs n°3 ne cesse de renvoyer des reflets multiples et parfois trompeurs qui constituent autant d’indices, mais aussi potentiellement de fausses pistes et de leurres de vérité. Venu de la critique, Petzold connaît ses classiques et rend ici un hommage appuyé à deux de ses cinéastes de prédilection : Alfred Hitchcock pour le suspens et les faux-semblants, mais aussi Douglas Sirk pour le lyrisme et deux portraits de femmes magistraux. Sous couvert de signer une étude de mœurs qui s’attache au processus de reconstruction d’une pianiste assaillie de doutes, il met peu à peu à jour une autre vérité, ô combien plus dérangeante, en utilisant l’harmonie de façade comme une véritable toile d’araignée. Petzold démontre en outre sa maîtrise en s’interdisant de donner des explications inutiles, traitant le spectateur en adulte responsable, chacun pouvant interpréter avec ses propres codes les signes extérieurs de ce portrait de famille dont l’harmonie trompeuse se révèle lourde de significations. Le réalisateur confronte à Paula Beer une autre de ses fidèles, jusqu’alors assignée à des rôles secondaires, Barbara Auer, aussi rassurante qu’inquiétante dans un emploi de femme au foyer coopé de la réalité en raison du drame qui l’obsède. De leur alchimie naît un malaise indicible qui nous suit bien au-delà de la fin du film, volontairement ouverte donc sujette à toutes les conjectures. Y compris les plus folles.
Jean-Philippe Guerand
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