Film turco-franco-luxembourgeois de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti (2025), avec Saadet Işıl Aksoy, Erkan Kolçak Köstendil, Muhammet Uzuner, Osman Alkaş, Elit Andaç Çam, İlber Uygar Kaboğlu, Kıvanç Kılınç… 1h16. Sortie le 6 août 2025.
Saadet Işıl Aksoy (à gauche)
Le postulat de ce film est de ceux qui forcent l’admiration par son pari dramaturgique. Dans un club de rencontres d’Ankara, en Turquie, une hôtesse entretient par téléphone les fantasmes de ses interlocuteurs que la tradition incite à assouvir leur libido de façon anonyme et virtuelle, plutôt qu’à travers des étreintes réelles à visage découvert. Au fil de ses conversations dont l’objectif est de prolonger leur plaisir tarifé pour engranger un profit maximum, la jeune femme s’aventure parfois sur d’autres terrains et découvre ainsi des histoires purement humaines, mais aussi des informations plus confidentielles dont la connaissance pourrait devenir un moyen de pression, pour peu d’en faire un usage approprié. Jusqu’au moment où elle se retrouve en contact avec un jeune homme d’Istanbul en proie à un tremblement de terre de grande ampleur qui appelle au secours de sous les décombres, contraignant l’hôtesse à sortir de ses fonctions et à user de ses relations clandestines pour attirer l’attention des secours sur les lieux de la tragédie qui va s’avérer être une catastrophe majeure en infligeant une blessure profonde à l’orgueil national, faute d’une réaction à la mesure des dégâts subis. Illustration de cet adage populaire qui affirme que c’est en situation de crise qu’on vérifie la grandeur des nations. Cette multitude de thèmes habilement entrelacés donne à ce film intimiste une ampleur inattendue par son pouvoir de suggestion à toute épreuve.
Saadet Işıl Aksoy
Déjà remarqué pour son précédent opus, Sibel (2018), le couple franco-turc formé par Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti signe un quatrième film puissant qui tire un parti magistral de son postulat minimaliste, en s’en remettant pour cela dans une très large mesure à son interprète principale omniprésente, Saadet Işıl Aksoy, cette actrice quadragénaire jouant presque exclusivement en réaction à ses interlocuteurs, ce qui ne fait qu’ajouter à son mérite. Un pari dont l’audace évoque le fameux fleuron du cinéma américain indépendant Denise au téléphone (1995) de Hal Salwen par son jusqu’au-boutisme assumé. Au-delà de son tour de force scénaristique, Confidente réussit à esquisser le tableau de mœurs d’un pays qui a peu à peu reculé sur le terrain de la laïcité, tout en tolérant des pratiques souterraines par souci d’apaisement, sous la protection du pouvoir. On discerne là un fourmillement passionnant et admirablement maîtrisée qui confère à ces conversations à bâtons rompus une portée autrement plus vaste, en dressant un état des lieux saisissant de cette Turquie d’avant l’ère Erdogan qui adhérait encore il y a tout juste un quart de siècle aux préceptes du père de la république ottomane, Mustafa Kemal Atatürk. Confidente transcende en cela son postulat initial pour nous proposer un état des lieux saisissant d’un pays tiraillé entre l’Europe et l’Asie que le troisième millénaire a contraint à pratiquer des choix stratégiques contestables qui l’ont peu à peu éloigné des codes démocratiques au profit d’un régime autocratique. C’est tout l’enjeu de ce film de montrer avec subtilité le revers de la médaille.
Jean-Philippe Guerand
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