Jia ting jian shi Film sino-franco-dano-qatarien de Lin Jianjie (2024), avec Zu Feng, Xilun Sun, Ke-Yu Guo, Muran Lin… 1h40. Sortie le 13 août 2025.
Muran Lin et Xilun Sun
Le cinéma de genre chinois n’est pas le plus familier des Occidentaux davantage habitués aux fresques spectaculaires et aux films d’auteur confidentiels. Brief History of a Family illustre une tendance intermédiaire qui engendre çà et là des spécimens d’autant plus intéressants qu’ils utilisent cette spécificité inhérente au film noir qui consiste à explorer les zones les plus obscures de la société pour en mettre en évidence les turpitudes. Formé à l’étranger et révélé au prestigieux festival de Sundance, Lin Jianjie possède un goût inné de la parabole pour son effet grossissant. Il s’attache à l’emprise d’un adolescent solitaire sur un camarade de lycée qui semble livré à lui-même et se satisfait d’autant plus aisément de ces gens qui l’accueillent les bras ouverts sans marquer de différence réelle avec leur véritable fils dont ils semblent se réjouir qu’il ait enfin réussi à trouver un ami. Affleure de cette relation toxique une composante fondamentale de la société chinoise : la famille. Il émane de ce drame psychologique empreint de perversité des rapports troubles comme en a souvent décrit la romancière américaine Patricia Highsmith. La séquence d’ouverture donne d’ailleurs le tempo de ce qui va suivre. Au cours d’un entraînement de gymnastique, un élève reste suspendu à une barre fixe. Jusqu’au moment où il lâche prise malgré lui, percuté par le ballon lancé par un autre élève hors champ dont on suspecte qu’il l’a visé à dessein. C’est paradoxalement ainsi que ces deux jeunes gens chacun dans sa bulle en arrivent à sympathiser dans un étrange rapprochement sadomasochiste qui ne laisse présager rien de bien sain.
Zu Feng, Ke-Yu Guo, Xilun Sun et Muran Lin
L’une des singularités du film est de se dérouler parmi la classe moyenne émergente, c’est-à-dire dans un contexte social que le cinéma chinois ne décrit encore que rarement, car il a émergé de la croissance et se caractérise par son attachement viscéral aux signes extérieurs du matérialisme au sein d’une société qui en expérimente un apprentissage sommaire. Dès lors, à travers cette description clinique du confort bourgeois le plus artificiel, le film renvoie à certaines œuvres contemporaines du boom économique européen signées Pasolini, Bellocchio, Bertolucci, Buñuel, Chabrol ou Losey, à travers le rapport de pouvoir qui s’y développe. Brief History of a Family trouve toutefois des circonstances psychologiques atténuantes à son semeur de trouble, jeune homme livré à lui-même et négligé par les siens qui se comporte comme ces coucous habitués à s’installer dans le nid d’autres oiseaux. À travers cette histoire, le réalisateur s’attache également aux conséquences prosaïques de la doctrine de l’enfant unique adoptée pendant trois décennies par les autorités chinoises pour retrouver la maîtrise d’une croissance démographique devenue exponentielle. Avec aussi ce concept élémentaire de fratrie supprimé de fait par cette politique dénataliste dont les conséquences à long terme se sont avérées dévastatrices. Comme si l’intrus devenait ici malgré lui ce fameux deuxième enfant prodigue si longtemps tabou. À ce détail près qu’il est issu d’une classe sociale différente qui rend son intégration problématique et suscite une rivalité entre les deux garçons. En termes de pure mise en scène, Lin Jianjie adopte visuellement la posture d’un laborantin observant des cellules à travers un microscope. Effet saisissant qui confère au premier long métrage de cet ancien étudiant en biologie l’aspect général d’un organisme attaqué par un virus étranger et contraint de l’éradiquer pour assurer sa survie. CQFD ?
Jean-Philippe Guerand
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