Familiar Touch Film américain de Sarah Friedland (2024), avec Kathleen Chalfant, Katelyn Nacon, Carolyn Michelle Smith, H. Jon Benjamin, Andy McQueen, London Garcia, Joahn Webb… 1h30. Sortie le 13 août 2025.
H. Jon Benjamin et Kathleen Chalfant
Peut-on rire de tout ? La question se pose régulièrement lorsque le cinéma s’empare de certains sujets. Dans À feu doux, tout commence par un déjeuner au cours duquel une vieille dame extrêmement digne reçoit un homme plus jeune dont on a délibérément quelque mal à cerner l’identité à travers ses mots rares et son malaise palpable. À observer son attitude vis-à-vis de son hôtesse, on se prend à croire qu’il pourrait s’agir d’un rendez-vous galant entre une mangeuse d’hommes plutôt expansive et un prétendant mal dans sa peau. Il s’avère assez vite que ces apparences trompeuses cachaient une vérité moins avouable. On se retrouve alors dans un sketch mémorable des Nouveaux monstres (1977) dans lequel Alberto Sordi accompagnait sa mère dans une maison de retraite sans vraiment assumer ce geste ultime d’abandon placé sous le double signe de la lâcheté et de l’hypocrisie. À l’instar d’Ettore Scola dans ce conte cruel intitulé ironiquement Comme une reine, la réalisatrice américaine Sarah Friedland prend le parti d’en rire, ou du moins d’en sourire. Elle signe là une étonnante chronique de la fin de vie qu’irradie la personnalité hors du commun de la comédienne Kathleen Chalfant, lauréate d’un des trois prix reçus par le film à Venise dans la section Orrizonti. Celle-ci incarne un personnage qui se retrouve pour une bonne part préservé de la détresse par la maladie neuro-dégénérative dont il est atteint et qui nécessite d’être protégé de soi-même par une structure adaptée. Son caractère naturel l’incite par ailleurs spontanément à aller vers les autres, à toujours chercher à se rendre utile, bref à repousser au plus tard possible le moment fatidique de vivre sous la menace de ce mal étrange qui ne semble exercer aucune incidence sur son enthousiasme et son sens du partage. Au point de mettre son talent de cordon bleu au service des autres. Avec une prédilection pour la cuisson… à feu doux.
Kathleen Chalfant
À feu doux réussit la prouesse d’aborder un sujet de société ô combien délicat sans rien esquiver de ses conséquences, mais sans sordide. Le film le doit à la personnalité hors du commun de son interprète principale, actrice de théâtre et de télévision qui fait corps avec son personnage et renvoie une image plutôt positive du vieillissement, ses absences contribuant à lui conférer une certaine innocence et à faire oublier son âge. Elle-même habituée à fréquenter des personnes âgées et accoutumée à côtoyer des gens atteints de pathologies mentales, Sarah Friedland porte un regard respectueux sur cette vieille dame indigne qui se réfugie parfois derrière des réflexes d’enfant et que sa maladie finit par préserver de la réalité de sa situation en la rendant supportable, là où la lucidité risquerait de prêter à la détresse sinon au désespoir. La réalisatrice aborde cette situation en évitant tous les pièges inhérents à son sujet. Elle montre la vieillesse comme un nouvel âge potentiel de l’insouciance et choisit pour cela une femme déterminée qui continue à aller de l’avant, quitte à entraîner derrière elle certains pensionnaires en devenant complice des membres du personnel, sa volonté finissant par susciter de nouvelles initiatives bénéfiques pour l’ensemble de la communauté. Tel quel, le film pourrait n’être qu’une comédie de mœurs destinée à traiter avec humour une situation qui prête davantage à l’apitoiement qu’à l’euphorie. Il est en fait tout le contraire et semble vouloir démontrer qu’il n’existe pas de fatalité et qu’une autre fin de vie serait sans doute envisageable pour peu que les conditions soient réunies. Après tout, comme l’affirme une fameuse citation de la Bible, “ heureux les simples d’esprit… ”
Jean-Philippe Guerand
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