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“The Ugly Stepsister” d’Emilie Blichfeldt



Den stygge stesøsteren Film norvégo-suédo-polono-danois d’Emilie Blichfeldt (2025), avec Lea Myren, Thea Sofie Loch Næss, Ane Dahl Torp, Flo Fagerli, Isac Calmroth, Malte Gårdinger, Ralph Carlsson, Adam Lundgren, Oksana Cherkashyna, Katarzyna Herman, Cecilia Forss, Kyrre Hellum, Agnieszka Zulewska, Philip Lenkowsky… 1h45. Sortie le 2 juillet 2025.



Lea Myren



Tous les amateurs de contes de fées connaissent la méchante demi-sœur, fille naturelle de la mère adoptive de Cendrillon qui va mettre en œuvre les stratagèmes les plus sophistiqués pour attirer l’attention du prince charmant en sauvant ainsi l’honneur et le rang de sa famille en déroute. La réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt adopte aujourd’hui le point de vue antagoniste de celui auquel nous a habitué une longue tradition, l’histoire est racontée par cette fille ingrate qui s’inflige des supplices inhumains pour devenir séduisante. Il lui faut dans un premier temps faire rectifier la forme biscornue de son appendice nasal, ce qui passe par une opération chirurgicale spectaculaire et sans anesthésie pratiquée par une sorte de boucher assermenté. Et puis, histoire d’affiner sa ligne, elle se soumet au traitement le plus inhumain qui se puisse imaginer en ingérant des œufs d’où écloront des vers solitaires auxquels elle fournira malgré elle le gîte et le couvert. Ce conte horrifique fourmille d’images choc qui n’en font pas vraiment un spectacle à recommander aux âmes sensibles, avec notamment un point d’orgue gore lorsqu’elle expulse l’hôte reptilien de ses entrailles. La réalisatrice signe là un premier long métrage particulièrement subversif qui doit se lire à un double niveau, dans la mesure où les efforts que déploie sa jeune héroïne pour répondre aux canons supposés de la beauté renvoient à la condition des mannequins et des top models qui n’hésitent pas à sombrer dans l’anorexie pour correspondre à des normes délirantes.



Lea Myren



The Ugly Stepsister assume un point de vue résolument féministe sur des archétypes que perpétuent depuis des siècles des contes de fées colportés par des hommes. On y voit une femme (l’éblouissante Lea Myren dans un grand numéro de masochiste) s’y soumettre à des supplices inhumains pour attirer l’attention du monarque susceptible de sauver sa famille de la ruine et de la déchéance. Le spectacle que met en scène Emilie Blichfeldt n’est ni plus ni moins qu’une petite danse de mort dont les hommes sont les orchestrateurs invisibles. C’est pour les séduire que les personnages féminins de cette histoire déploient des efforts considérables, quitte à se soumettre au fameux Male Gaze. Dès lors, la réalisatrice pare son film d’un message politique subliminal qui s’inscrit le plus naturellement du monde dans ce cadre un rien décadent dont même la cour apparaît comme un théâtre d’ombres où le paraître prévaut sur l’être, en vertu d’une étiquette immuable mais bien superficielle. La perversité de cette course au mari empreinte de paternalisme repose par ailleurs sur un artifice particulièrement pernicieux : la principale rivale de l’héroïne n’est autre que sa demi-sœur comblée par la nature qui n’a quant à elle aucun effort à faire pour briller en société et attirer tous les regards, sous l’égide d’une véritable mère maquerelle, elle-même en quête d’un bon parti. Telle est l’ironie mordante de ce film politiquement fort incorrect où les conventions se trouvent soumises à rude épreuve dans un royaume d’opérette qui se situe visiblement quelque part entre la Scandinavie et l’Europe orientale à une époque toute aussi indéterminée. C’est le secret mais aussi le charme vénéneux de ce jeu de massacre de miser sur cette incertitude spatio-temporelle traitée comme un facteur favorable à une certaine abstraction.

Jean-Philippe Guerand





Isac Calmroth et Lea Myren

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