Film turco-franco-polono-canadien d’Alireza Khatami (2025), avec Ekin Koç, Erkan Kolçak Köstendil, Hazar Ergüçlü, Ercan Kesal, Güliz Şirinyan, Aysan Sümercan, Serhat Nalbantoğlu, Selmen Kurtaran, Onur Tanyeri, Selçuk Müsellim, İpek Türktan… 1h53. Sortie le 23 juillet 2025.
Ekin Koç
Le cinéma iranien est désormais un continent en soi dont la diaspora apparaît désormais aussi créative que les rares réalisateurs restés au pays et souvent menacés par les autorités locales. Une situation inconfortable qui a poussé récemment à l’exil Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi, après des années passées à redoubler d’ingéniosité pour déjouer la censure de l’intérieur, y compris sous le coup d’absurdes interdictions de tourner qui n’ont fait que stimuler leur imagination. Révélé en solo par Les versets de l’oubli (2017), Alireza Khatami s’est associé par la suite avec son compatriote Ali Asgari pour signer le film à sketches Chroniques de Téhéran (2023), portrait impressionniste de l’Iran à travers la confrontation de citoyens ordinaires avec des fonctionnaires. C’est seul qu’il signe aujourd’hui son troisième long métrage, The Things You Kill, doublement primé au festival Reims Polar. Ce thriller en bonne et due forme tourné en Turquie semble ouvrir pour le cinéaste un nouveau chapitre au sein de son œuvre. De retour au bercail après un long séjour aux États-Unis, Ali retrouve sa famille telle qu’il l’a quittée, sous l’autorité immuable d’un patriarche despotique et violent avec qui toute discussion paraît impossible. Le jour où sa mère handicapée meurt dans des circonstances troubles, le fils soupçonne son père de ne pas y être étranger et entreprend de l’empêcher de nuire dans un acte de désespoir ultime, alors qu’il se trouve lui-même atteint dans sa virilité par un problème de fertilité qui menace son couple…
Ekin Koç et Hazar Ergüçlü
En filigrane de cette étude de mœurs affleure une critique sociale virulente qui pointe l’archaïsme d’une société régie par un système patriarcal nuisible sinon nocif qui confère une sorte de pouvoir absolu au pater familias enivré de la puissance que lui confère une tradition arbitraire. Situé initialement en Iran où les autorités ont asujetti leur autorisation de tournage à des coupes drastiques auraient dénaturé le scénario dans son ensemble, le film a été relocalisé en Turquie, mais il pourrait tout aussi bien prendre pour cadre d’autres pays du pourtour méditerranéen où les évolutions sociétales récentes ne sont pas encore parvenues et semblent condamnés d’office par le poids de traditions immuables. C’est pour avoir passé un certain temps à l’étranger et avoir progressé l’un et l’autre dans l’échelle sociale par rapport à leurs parents que le personnage principal et son épouse prennent la mesure de ce décalage dans toute son ampleur. Ce couple moderne confronté à une société qui refuse d’évoluer se trouve par ailleurs confronté à une problématique intime dont il ne peut pas faire part à ses aînés, pour des raisons qui relèvent à la fois de la religion et de la morale. Une problématique qu’Alireza Khatami traite comme fondamentale mais encore taboue, alors qu’il est lui-même issu d’une famille turcophone. Avec aussi ce thème éternel de la culpabilité qui court à travers la littérature depuis le fond des temps et suscite ici des échappées oniriques très réussies.
Jean-Philippe Guerand
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