Film américain d’Eva Victor (2025), avec Eva Victor, Naomi Ackie, Lucas Hedges, John Carroll Lynch, Louis Cancelmi, Kelly McCormack, Alison Wachtler, Will Blanchette, Celeste Oliva, Priscilla Manning… 1h44. Sortie le 23 juillet 2025.
Naomi Ackie et Eva Victor
Voici un film placé délibérément sous le double signe du réconfort et de la résilience. C’est la chronique d’une thérapie qui ne dit jamais son nom. Victime d’une agression dont elle a du mal à se remettre, Agnès trouve du réconfort auprès de son amie Lydie (Naomi Ackie) avec qui elle partage des moments précieux d’insouciance qui l’encouragent à sortir de l’isolement dans lequel elle s’était murée, faut d’être en mesure de verbaliser le traumatisme qu’elle a subi et auquel elle associe un double sentiment irrationnel de honte et de culpabilité. Comme si elle était responsable des pulsions qu’elle a suscité chez un pervers pépère aux allures de notable (l’excellent John Carroll Lynch) qui ne demande sans doute qu’à récidiver. Née en France, l’ex-journaliste Eva Victor a défrayé les réseaux sociaux à grands renforts de vidéos humoristiques avant de se lancer en tant que comédienne à part entière. Elle signe aujourd’hui un premier film dans l’air du temps et sous le signe de la réparation qui lui a valu le prestigieux prix Waldo Salt du scénario au festival de Sundance considéré comme La Mecque du cinéma indépendant. Sorry, Baby est moins une œuvre féministe militante que la chronique compassionnelle d’un retour à la vie. Il y a dans le personnage parfois lunaire qu'incarne Eva Victor un aspect bohème qui évoque les personnages fantasques campés par Diane Keaton chez Woody Allen. En tant que réalisatrice, elle refuse le pathos au profit d’un voyage intérieur qui consiste à sortir de son silence pour partager avec une amie une blessure traumatique qui n’appartient pourtant qu’à elle et semble impossible à partager avec celles qui ne l’ont pas endurée. Pas question pour autant d’adopter la posture d’une guerrière en lutte contre les hommes en général, là où son agresseur incarne à lui seul un patriarcat toxique désormais sous haute surveillance.
Eva Victor
Sorry, Baby s’attache à la chronique d’une rédemption où la victime apparaît comme une héroïne de notre temps dont la société bride le besoin d’exprimer le malaise par une sorte de conditionnement affecté à son sexe. Ce travail sur elle-même qu’elle accomplit pour revenir à la vie et à une certaine insouciance devient sa nouvelle raison d’être et surtout de renaître à l’amour en recouvrant son pouvoir de séduction souillé. Il est essentiel à cet effet que ce soit l’instigatrice du film qui en tienne le rôle principal, Eva Victor conférant à travers cette implication supplémentaire une indéniable valeur ajoutée à son propos, loin de tout manichéisme réducteur auquel elle préfère une subtilité de chaque instant. Le casting constitue en outre un argument fondamental à mettre au crédit de ce projet par ailleurs soutenu par le réalisateur Barry Jenkins. L’engagement militant de l’auteur de Moonlight (2016) en faveur des talents indépendants en devenir a déjà produit des œuvres aussi déterminantes que Never Rarely Sometimes Always (2020) d’Eliza Hittman et Aftersun (2022) de Charlotte Wells, contribuant du même coup à accélérer de façon significative la trop lente féminisation du cinéma américain. Sorry, Baby utilise ainsi les ressources les plus convenues de la fiction traditionnelle pour mettre en scène l’indicible à travers les démons qui rongent une jeune femme en lutte avec un inconscient que son environnement et son éducation lui assignent de refouler. Bien que le cinéma accorde enfin aujourd’hui aux violences sexuelles la place qu’elles méritent, si longtemps occultée, Eva Victor exalte la nécessité de la sororité, associe volontiers le charme à l’humour et choisit d’œuvrer dans la suggestion sans pour autant éluder les questions qui fâchent. À commencer par ce phénomène qui permet aux lourdauds et agresseurs en puissance de continuer à sévir en toute impunité au sein d’une société conformiste jusqu’au laxisme au point de ne réagir qu’en cas de féminicide avéré, c’est-à-dire trop tard. Sorry, Baby déploie sur ce registre un précieux processus de consolation.
Jean-Philippe Guerand
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