Ryuichi Sakamoto | Opus Documentaire musical japonais de Neo Sora (2023), avec Ryuichi Sakamoto 1h43. Sortie le 30 juillet 2025.
Un homme seul face à son piano. Son visage est impénétrable, ses yeux sont cachés par d’épaisses lunettes, ses cheveux blancs soigneusement peignés. Le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto doit sa renommée internationale à quelques bandes originales de films, de la première et peut-être la plus emblématique, Furyo (1983) de son compatriote Nagisa Oshima à celle de L’innocence (2023) d’Hirokazu Kore-eda, en passant par ses collaborations mémorables avec Bernardo Bertolucci (Le dernier empereur qui lui a valu un Oscar en 1988), Pedro Almodóvar, Brian de Palma ou Alejandro González Iñárritu. C’est peu de temps avant sa disparition qu’il a relevé ce défi : interpréter seul une vingtaine de morceaux de son répertoire devant des caméras. C’est à son propre fils, Neo Sora, qu’il a confié le soin de le filmer en noir et blanc en veillant à accorder de l’importance à des détails qui reflètent sa connaissance de son répertoire et leur intimité familiale et artistique. Qu’il surprenne une expression sur son visage fatigué ou cadre ses doigts agiles se promenant sur le clavier, le réalisateur attentif et discret laisse le virtuose totalement maître de ses moindres gestes. Avec cette liberté dont il disposait pour ordonner a posteriori cette vingtaine de morceaux de choix selon sa volonté. Il faudra par ailleurs attendre le générique de fin pour identifier ce qu’on a entendu. Le film se distingue en cela des captations de récitals traditionnelles où tout est surligné à l’usage d’un public de mélomanes qui a besoin de pouvoir identifier en permanence les notes qui pénètrent dans ses oreilles. Ce concert constitue le testament d’un génie discret qui se faisait une très haute idée de son art et l’a servi comme personne. Il faut voir ce disciple auto-proclamé de Claude Debussy régler en expert des accessoires mystérieux de son piano et caresser les touches avec une rare délicatesse. Comme si d’un seul coup, le musicien et son instrument ne faisaient plus qu’un.
Produit par le producteur légendaire Jeremy Thomas qui a accompagné plusieurs films mis en musique par le compositeur, Ryuichi Sakamoto : Opus est une invitation à la délicatesse qui nous permet de partager un moment de communion rare qu’aucun concert classique n’aurait pu nous offrir. Bien que la caméra s’immisce dans les recoins les plus cachés du piano et traque en permanence les expressions du soliste qui semble parfois converser avec lui et laisse échapper des mots inaudibles, c’est quelque chose du mystère de la musique qui nous est offert à travers ce film dépouillé à l’extrême qui devient de fait le testament de l’artiste à l’usage de ses fans. Le chef opérateur Bill Kirstein tire en outre le meilleur parti des deux composantes majeures de sa recherche visuelle : l’usage d’un noir et blanc d’une rare élégance et un format large qui permet d’isoler certains détails et d’instaurer une véritable correspondance entre le minimalisme de la situation et les voyages auxquels nous convie cette musique souvent symphonique mais réduite à ici un solo pour piano. Mort le 28 mars 2023 à l’âge de 71 ans, le musicien a conçu ce film comme une cérémonie d’adieu, à un moment de sa vie où la maladie l’empêchait de se produire pour un public devenu considérable et planétaire. Il l’a tourné fin 2022 dans un contexte rassurant et y résume une carrière qui va de son éclosion au sein du groupe Yellow Magic Orchestra à son. ultime album, “12” qui relève de la méditation. Ce film à l’usage des inconditionnels du musicien nous invite à une expérience artistique intense qui revisite quatre décennies d’une carrière éblouissante dont la pureté continue de résonner en nous.
Jean-Philippe Guerand
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