Film d’animation hispano-polonais de María Trénor (2024), avec (voix) Laura Casaña, Lisa Reventós, Daniel Masalles, Omar Sanchís, Fermí Delfa, Roger Riu Gasso… 1h26. Sortie le 9 juillet 2025.
Art en mutation perpétuelle, l’animation ouvre désormais la voie vers tous les possibles et attire de plus en plus de réalisateurs issus du cinéma traditionnel qui y trouvent de nouvelles opportunités créatives. On se souvient des incursions dans ce domaine de Patrice Leconte (Le magasin des suicides, 2012) ou Michel Hazanavicius (La plus précieuse des marchandises, 2024), mais c’est ici à un autre auteur, l’Espagnol Fernando Trueba, qu’il convient de se référer à travers les deux films qu’il a consacrés à sa passion pour la musique et que ne seraient jamais parvenus à satisfaire ni un documentaire traditionnel dont les archives auraient été difficiles à réunir ni une œuvre de fiction au coût nécessairement prohibitif. Chico et Rita (2011) et They Shot the Piano Player (2023) coréalisés avec Javier Mariscal constituent en l’occurrence les expériences les plus pertinentes en la matière pour ne pas remonter au trip psychédélique Yellow Submarine (1968) de George Dunning qui en posa les bases en totale fusion avec la musique des Beatles voire certaines séquences oniriques de The Wall (1982) d’Alan Parker à partir de l’album homonyme des Who. Rock Bottom s’attache à une aventure artistique indissociable de l’ère post-soixante-huitarde et de ses errances sous influence qui constitue une sorte d’expérience de laboratoire par son caractère à la fois hors du commun et en cela impossible à reproduire de près ou de loin. Avec ou sans substances délétères à l’appui.
L’album de rock alternatif composé par Robert Wyatt au lendemain d’un accident qui l’a laissé hémiplégique et contraint à renoncer à sa carrière de batteur est l’occasion pour la réalisatrice María Trénor de consacrer son premier long métrage à sa gestation dans l’Espagne de 1973. Malgré le franquisme encore tout puissant qui fondait une grande partie de son économie sur l’afflux estival de devises, le tourisme attirait des millions de vacanciers venus d’ailleurs pour profiter de son soleil sans états d’âme. Quitte à aller parfois jusqu’à s’égarer dans des paradis artificiels propices à l’inspiration la plus délirante. C’est ce cheminement créatif tortueux dans l’insouciance de Majorque où la Garde Civile détourne les yeux des incivilités les plus négligeables que décrit le film, en mêlant des techniques de nature à coller aux folles divagations de ses protagonistes. À commencer par la rotoscopie qui consiste à s’appuyer sur des images réelles pour leur appliquer ensuite un traitement de choc en animation. Un univers visuel et même volontiers visionnaire qui nous entraîne au rythme de la musique de Wyatt, aboutissement d’un processus qui se rapproche de l’écriture automatique chère aux surréalistes et continue à surprendre par sa liberté. La cinéaste a fait appel pour les plus extrêmes de ces séquences à l’animateur expérimental polonais Zbigniew Czapla qui trouve des solutions radicales pour exprimer les délires de Wyatt dans une atmosphère psychédélique particulièrement spectaculaire. Le film réussit une fusion assez spectaculaire en mixant son ambiance sonore et musicale avec un univers visuel en mouvement perpétuel qui joue autant sur les formes que sur les couleurs. Quitte à devenir une fascinante invitation au voyage dans laquelle il faut accepter de se laisser embarquer pour savourer l’expérience à sa démesure.
Jean-Philippe Guerand
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