O Riso e a Faca Film portugo-franco-roumano-brésilien de Pedro Pinho (2025), avec Sérgio Coragem, Cleo Diára, Jonathan Guilherme, Jorge Quintino Biague, Renato Sztutman, Bruno Zhu, Kody McCree, Everton Dalman, Binta Rosadore, Nastio Mosquito, Giovanni Maucieri, Marçalina Djibril, Eugène Ionesco, Marinho de Pina, Hermínio Amaro, Paulo Leal, João Pedro Sousa, Hamed Nah… 3h31. Sortie le 9 juillet 2025.
Jonathan Guilherme et Sérgio Coragem
Un ingénieur environnemental débarque en Guinée Bissau pour y construire une route reliant le désert du Sahara à la forêt tropicale pour le compte d’un consortium brésilo-chinois financé par la Banque mondiale. Tandis qu’il établit des liens ténus avec des expatriés, des travailleurs humanitaires et certains autochtones dont un couple aux mœurs très libres, il se trouve confronté malgré lui au souvenir laissé par son prédécesseur italien mystérieusement disparu sans laisser la moindre trace… Pedro Pinho perpétue dans ce film la fameuse saudade, cette irrépressible mélancolie, à travers un personnage sur lequel les événements ne semblent exercer aucune prise réelle, tant il évolue dans son propre monde. On serait bien en mal de le décrire avec précision sur le plan psychologique, car tout semble glisser sur lui. Plongé dans un environnement hétérogène, comme c’est le cas ici, il a la capacité de s’y fondre et de s’adapter aux circonstances à la manière d’une sorte de caméléon exotique. Cette errance de trois heures produit un ressenti nettement inférieur pour le spectateur embarqué dans une sorte de brouillard mental qui progresse à son propre rythme et où le visiteur abandonne peu à peu ses repères malgré lui. Une parenté souterraine relie ce film à certaines autres œuvres du cinéma portugais signées Miguel Gomes ou Marco Martins chez qui le poids de l’héritage colonial est récurrent sinon obsessionnel. L’espace-temps y semble littéralement aboli. Le film résonne en outre par son sujet avec une autre œuvre fleuve sortie l’an dernier dans laquelle deux destins résonnaient en écho : Los delincuentes de l’Argentin Rodrigo Moreno. On y retrouve cette obsession antonionienne selon laquelle certaines existences résonnent en écho à d’autres. Pedro Pinho ne cherche pas pour autant à fournir une explication rationnelle à ces événements étranges.
Cleo Diára
À l’image de son titre résolument sibyllin qui sied à l’esprit ambiant, Le rire et le couteau ressemble au chemin jonché de cailloux blancs du petit Poucet, sinon qu’il ne mène pas vraiment à une destination identifiée, mais plutôt à une gamme de supputations et d’hypothèses, à l’image de ce chantier abandonné qui prend l’allure d’une cicatrice profonde. L’interprète principal Sérgio Coragem (dont le personnage porte le prénom) affiche lui-même tous les signes de reconnaissance d’un passe-muraille qui se laisse absorber par son environnement sous prétexte de remplir une mission vraiment impossible. Certains y liront sans doute une parabole anticolonialiste. D’autres, plus nombreux, y verront un suicide social en bonne et due forme. Pedro Pinho porte un regard fort désabusé sur ce continent africain pris littéralement en otage par les grandes puissances qui n’y voient qu’une source inépuisable de profits et de jeux de pouvoir. Son film reflète ces incertitudes par l’espace qu’il ouvre à l’improvisation, dans l’objectif de créer une sorte de chaos polyphonique propice à toutes les supputations. La principale audace du film consiste à partir de nulle part pour aboutir ailleurs. Avec entre-temps l’impact des circonstances sur un personnage principal qui semble totalement dépossédé de son libre-arbitre et évolue en fonction de ses rencontres. Venu du documentaire, le réalisateur laisse à dessein le réel envahir son récit et s’y épanouir en toute liberté. Il confie d’ailleurs avoir pour aspiration que le film donne au spectateur “ l’envie de dormir au milieu de la tempête. Et de ramener la tempête à la maison ”. Et le fait est que ce spectacle souvent majestueux possède un pouvoir d’envoûtement qui ne laisse pas indifférent et agit comme une invitation au rêve.
Jean-Philippe Guerand
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