Film français de Quentin Dupieux (2025), avec Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain, Karim Leklou, Gabin Visona, Clara Choï, Sava Lolov, Georgia Scalliet… 1h28. Sortie le 2 juillet 2025.
Adèle Exarchopoulos
L’itinéraire de Quentin Dupieux à de quoi surprendre. Considéré longtemps comme un doux dingue passé des frasques musicales de Mr. Oizo à la comédie underground, il a peu à peu accéléré la cadence en donnant le sentiment trompeur de rallier le bataillon de la comédie à la française. Une étiquette qu’il prend un malin plaisir à décoller en intégrant dans les histoires qu’il raconte une pincée d’étrangeté que d’autres ont qualifié à sa place de surréalisme, là où il se contente bien souvent de décaler ses personnages ou les situations. Résultat, des films à double fond qui en disent davantage que le tout-venant de la production traditionnelle. Tout semble avoir basculé pour Dupieux avec l’engouement suscité par Yannick, chronique ordinaire d’une pièce de boulevard braquée par un spectateur qui estime ne pas en avoir pour son argent. Un film bricolé avec trois bouts de ficelle et un drôle de zèbre, Raphaël Quenard en preneur d’otages pétri de dramaturgie. L’opus suivant du réalisateur, Le deuxième acte, lui vaut d’ouvrir le Festival de Cannes 2024 et de décréter tout de go une diète médiatique unilatérale. Deux films plus tard, il retrouve l’une de ses interprètes fétiches, prodigieuse en victime handicapée par une chute à ski dans Mandibules (2020), Adèle Exarchopoulos, et lui offre l’un de ces contre-emplois qui attirent les louanges, mais en l’occurrence bien peu d’empathie, tant elle n’est que mépris et arrogance.
Jérôme Commandeur et Adèle Exarchopoulos
À la suite du fameux accident de piano du titre, une youtubeuse masochiste et acariâtre qui se prétend atteinte d’un trouble autistique se réfugie dans un chalet avec son homme à tout faire qu’elle tyrannise par pur sadisme, tandis que rôdent alentour deux autochtones passablement demeurés et qu’une journaliste la harcèle pour décrocher son interview. La première audace de Quentin Dupieux consiste à choisir pour héroïne une femme profondément antipathique qui ne vit que pour les clics qu’elle accumule -en s’infligeant les pires sévices dans le but de générer le buzz qui lui tient lieu de cœur- et semble avoir perdu toute notion concrète de la réalité. À travers elle, le réalisateur semble exprimer le dédain souverain qu’il voue à ces nouveaux marchands du Temple que sont les influenceurs. Des prophètes illégitimes dont le cœur bat au rythme des “likes” et qui en viennent à perdre tout contact avec la réalité et deviennent malgré eux les otages de leurs adorateurs, représentés ici par deux frères qui ne font plus vraiment la différence entre la vérité et le virtuel. Avec aussi cette journaliste qui contraint la diva des réseaux sociaux à lui accorder une interview, mais vit très mal ce rappel au réel vécu comme une traversée du miroir. D’un naturel peu enclin à l’optimise, Quentin Dupieux signe avec ce film une charge violente contre un monde déshumanisé où les nouvelles générations se cachent derrière leurs écrans pour ne pas avoir à subir ce qu’on leur impose à leur insu. Sans pitié !
Jean-Philippe Guerand
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