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“Islands” de Jan-Ole Gerster



Film allemand de Jan-Ole Gerster (2025), avec Sam Riley, Stacy Martin, Jack Farthing, Dylan Torrell, Pep Ambròs, Bruna Cusi, Ramiro Blas, Ahmed Boulane, Fatima Adoum, Maya Unger, Alina Schaller, Iker Lastra, Ainhoa Hevia Uria… 2h03. Sortie le 2 juillet 2025.



Jack Farthing, Stacy Martin et Sam Riley



Une famille ordinaire débarque dans un complexe hôtelier des Canaries où il sympathise avec un moniteur de tennis solitaire. Prétexte à une errance existentielle qui sait cultiver le mystère et tirer le meilleur parti des relations filandreuses de ses protagonistes, tous peu ou prou à côté de leur vie sans l’assumer tout à fait. Le titre est d’ailleurs éloquent. Ces îles, ce sont avant tout ses personnages isolés et dans l’incapacité de se rapprocher vraiment les uns des autres. Le genre même d’Islands pose un problème en soi. Bien que le festival Reims Polar lui ait décerné son grand prix, ce n’est ni vraiment un film noir ni même un thriller psychologique, mais il en affiche certains signes extérieurs en leur appliquant un traitement très personnel. Le réalisateur allemand Jan-Ole Gerster affirme son goût pour la disruption et semble prendre un malin plaisir à brouiller les cartes, en utilisant systématiquement ses protagonistes à contre-emploi. Le personnage qu’incarne Sam Riley dont la mise en scène incite dans un premier temps à penser qu’il est le pivot de cette histoire décrite à travers son regard manifeste en fait une sorte de spleen existentiel qui l’empêche d’agir et le condamne à n’être qu’un simple observateur. Cette posture narrative audacieuse réussit la prouesse de nous entraîner dans un leurre qui n'a jamais rien d'artificiel, car son caractère ne se révèle véritablement qu'au fil des circonstances.



Stacy Martin



L'originalité d’Islands repose sur une intrigue nourrie par des situations classiques et des rebondissements plus ou moins prévisibles qui ne provoquent pourtant jamais les effets escomptés. Jan-Ole Gerster s’acharne à nous prendre à contre-pied en nous proposant systématiquement l’alternative la moins évidente. Quitte à mettre en scène un personnage principal qui va démontrer à l’épreuve des faits qu’il n’a pas la moindre envie de prendre des risques pour devenir un héros et a lui-même trop de démons intérieurs à affronter pour être tenté de se mêler des affaires des autres. C’est en cela une sorte de parent éloigné du fameux Conformiste décrit naguère par Bernardo Bertolucci. Un type dont la seule ambition est de se fondre dans la foule, mais certainement pas de se mettre en danger par des initiatives hasardeuses qu’il risque ensuite de regretter pour en peser les conséquences incertaines. Une attitude rarement associée à un personnage principal de film supposé entraîner les autres et garder la maîtrise des événements. Rien de ça ici. Le réalisateur pousse même l’audace jusqu’à recruter pour interprètes principaux deux comédiens rompus au jeu de la séduction : Sam Riley en coach dépourvu d’états d’âme et Stacy Martin en mère de famille délaissée. Sans doute parce qu’ils suivent la ligne qu’ils se sont fixés et refusent de laisser les circonstances les en faire dévier sous aucun prétexte. Résultat : un film d’atmosphère qui réussit la prouesse de surprendre en permanence par un suspense trompeur conçu comme un piège envoûtant. Avec en toile de fond le cadre insulaire de Fuerteventura.

Jean-Philippe Guerand






Stacy Martin et Sam Riley

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