Film américain d’Ari Aster (2024), avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler, Luke Grimes, Deirdre O’Connell, Micheal Ward, Amélie Hoeferle, Clifton Collins Jr., William Belleau, Cameron Mann, Matt Gomez Hidaka, Keith Jardine, David Midthunder… 2h25. Sortie le 16 juillet 2025.
Joaquin Phoenix
Devenu culte en l’espace de deux films d’horreur psychologique portés aux nues, Hérédité (2018) et Midsommar (2019), ce dernier entretenant des connivences assumées avec le mythique The Wicker Man (1973) de Robin Hardy. Ari Aster est un pur produit du cinéma bis auquel ses aficionados prête des intentions pas toujours évidentes aux yeux de ses détracteurs. Résultat, il semble condamné à décevoir au moindre faux pas, comme l’a démontré l’accueil pour le moins mitigé du déroutant Beau is Afraid dont le tort principal était de s’aventurer sur un registre différent donc par définition déroutant. Il en retrouve aujourd’hui l’interprète principal, le toujours ténébreux Joaquin Phoenix dans Eddington, affublé de lunettes qui pointent sa vulnérabilité, face à un suppôt du progrès que campe Pedro Pascal. L’intrigue s’y cristallise autour du conflit qui oppose le maire et le shérif d’une bourgade sur fond de mesures sanitaires, à la manière d’une allégorie de l’Amérique contemporaine et de ses clivages profonds où la pandémie de Covid-19 a exacerbé un antagonisme dont Donald Trump est devenu le porte-drapeau par ses excès. Au-delà du mano a mano qui cristallise les antagonismes de cette communauté de ploucs du Nouveau Mexique, Ari Aster pratique le mélange des genres pour transgresser les poncifs associés à son sujet, la figure du duel westernien n’étant ici que la face émergée d’un iceberg cinématographique qui emporte tout sur son passage. Le réalisateur ne manifeste aucune magnanimité pour ses protagonistes, l’intérêt commun qu’ils sont censés assumer à travers leurs fonctions respectives d’édiles étant balayé par un repli individualiste autodestructeur qui va tout emporter sur son passage. Eddington est en cela une satire politique grinçante qui oppose une ambiance de western au pouvoir pernicieux des réseaux sociaux, sous la menace d’une intelligence artificielle décrite comme un nouveau Graal. Avec à la clé une escalade de violence absurde où Joaquin Phoenix défouraille à la mitrailleuse lourde, dans la pure tradition de Stallone en Rambo ou de Schwarzenegger en Terminator.
Le film de genre sert ici de prétexte à un tableau de mœurs en temps de crise qui ne pouvait pas plaire aux aficionados d’Aster. Le réalisateur n’utilise en effet ici des codes que pour mieux les dynamiter de l’intérieur et confronte deux acteurs bourrés de testostérone en la personne de Joaquin Phoenix et Pedro Pascal, avec pour compter les points Emma Stone dont les choix tranchent décidément avec ceux qu’on était en droit d’attendre d’une actrice hollywoodienne avant la tornade #MeToo. Entre deux films de Yórgos Lánthimos, la fausse ingénue transformée en peste s’offre ici l’un de ces rôles de furie déjantée comme elle les affectionne, loin du glamour et des conventions. Il émane de ce règlement de comptes à haute tension une jubilation plutôt communicative qui souligne les tentations autodestructrices de l’Amérique contemporaine sur fond de crise d’autorité endémique. Eddington fait partie de ces films négligés par leur époque qui deviendront peut-être a posteriori des œuvres visionnaires. Et tant pis pour les fans d’Ari Aster s’ils n’y trouvent pas tout à fait leur compte. Après tout, c’est tout à son honneur de refuser de leur servir éternellement le même plat et de se lancer dans de nouvelles recettes. Il n’a pas suffisamment de films à son actif pour ne pas se permettre de se hasarder sur d’autres chemins et refuser de se laisser enfermer dans un éternel radotage. C’est d’ailleurs tout à son honneur. Gageons que le temps de charger de trancher. Tel quel, ce film américain se révèle assez représentatif de notre époque toujours prompte à transgresser les codes du cinéma de genre dans le but d’asséner quelques vérités bien senties sur la dérive de la démocratie américaine et sa fascination toujours ambiguë pour l’ultra-violence au nom de la manichéenne loi de Lynch.
Jean-Philippe Guerand
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