Documentaire belgo-franco-suisse d’Alexe Poukine (2023) 1h38. Sortie le 4 juin 2025.
On reproche trop volontiers au personnel hospitalier de manquer de tact et de délicatesse pour ne pas apprécier à sa juste valeur cette immersion dans des centres de simulation médicale dont on ne supputait même pas toujours l’existence. Leur principe consiste à inculquer aux soignants comment réagir dans toutes les situations afin de rasséréner les patients, notamment dans les circonstances les plus extrêmes. La cinéaste belge Alexe Poukine (dont le film suivant, Kika, figurait parmi la sélection de la Semaine de la critique 2025) y explore les trésors de conditionnement et d’imagination déployés afin d’établir des liens plus humains et surtout plus pragmatiques entre des professionnels de santé soumis à rude épreuve et des patients en proie à des problèmes spécifiques que ne peut qu’accroître leur inquiétude légitime face à un manque de compassion ou à un déficit d’explications caractérisés. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence un profond malaise et entraîné d’importantes défections qui n’ont fait que s’aggraver depuis, où le chacun pour soi a fini par se substituer au tous pour un qui devrait présider à un fonctionnement harmonieux et efficace du système tout entier dans un contexte singulièrement dévalorisé pour ne pas dire dévasté. Sauve qui peut montre comment ces personnels chargés de soigner et d’entourer, que toute la misère du monde n’exonère pas pour autant de leurs propres problèmes personnels, sont parfois pris en charge par des comédiens et des communicants afin d’apprendre à réagir avec les mots justes et des gestes adaptés aux situations les plus critiques.
La première séquence du film est éloquente par l’interprétation à laquelle elle peut donner lieu. Elle met en scène une situation de crise et le cas de conscience des soignants confrontés à la perspective de devoir annoncer un sombre diagnostic, tandis qu’à quelques mètres à peine, un patient attend de connaître le verdict médical redouté qui risque de bouleverser sa vie à court ou long terme. La première réaction du spectateur consiste à se dire que tout cela est inhumain et que cette proximité physique est intolérable. Jusqu’au moment où l’on découvre qu’on est en train d’assister à une séance de training et que ledit malade n’est en fait qu’un simple figurant chargé de rendre la situation vraisemblable en faisant monter la pression par sa seule présence et une promiscuité insistante. Des films, et notamment des documentaires, sur le monde de la santé et l’univers hospitalier, on en voit régulièrement sur petit et grand écran. La spécificité de celui-ci est de montrer que derrière la froideur et la confidentialité de cet univers codifié, des gens s’activent pour essayer d’humaniser un cadre où les mauvaises nouvelles sont plus courantes que les bonnes, mais où le temps et les moyens matériels manquent pour les délivrer comme il se devrait, tant une urgence en chasse une autre. Sans nous réconcilier tout à fait avec cet univers impitoyable et souvent indéchiffrable qu’est le milieu hospitalier, Sauve qui peut met en avant sa capacité à réfléchir sur lui-même pour se mettre à la bonne distance des malades afin d’éviter d’ajouter à leur douleur physique une charge psychologique et morale insupportable. Preuve que les mots peuvent parfois aussi atténuer les maux et qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien. Tel est le juste prix que vaut l’apprentissage de la bienveillance face au désarroi le plus immédiat.
Jean-Philippe Guerand
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