Documentaire français de Raphaël Pillosio (2024) 1h24. Sortie le 11 juin 2025.
C’est en retrouvant les rushes muets d’un reportage effectué en mars 1962 par le documentariste Yann Le Masson (1930-2012) à la prison de Rennes d’où étaient libérées des femmes condamnées pour leur engagement dans les rangs du FLN qu’est né ce film qui s’apparente à l’œuvre d’un anthropologue. Le réalisateur y marche sur les traces de ces inconnues qu’il réussit à identifier à travers un faisceau de témoignages et de recoupements. Un véritable travail de fourmi d’où finit par affleurer une vérité différente de celle que l’enquêteur croyait être allé chercher. Sans relâche, Raphaël Pillosio passe en revue les mouvements panoramiques qui balaient cette assemblée peuplée de visages majoritairement féminins, tandis que des mots muets échappent çà et là de certaines bouches, provoquant parfois parmi les autres des réactions tout aussi indéchiffrables. Petit à petit pourtant, des témoins providentiels apparaissent qui égrènent des souvenirs plus ou moins précis de cette agora organisée dans la foulée de l’amnistie négociée parmi les accords d’Évian. En désespoir de cause, c’est un couple de sourds muets qui ira recueillir sur leurs lèvres ces mots enfouis depuis plus de six décennies. Avec à la clé une immense surprise pour le réalisateur comme pour les spectateurs. C’est la magie du documentaire que de savoir se remettre en question en fonction des événements et d’adapter sa forme aux circonstances.
Les mots qu’elles eurent un jour est une sorte de rébus cinématographique qui lève le voile sur une composante négligée de la Guerre l’Algérie : ces femmes indépendantistes condamnées à de lourdes peines pour avoir perpétré des attentats terroristes et posé des bombes qui n’ont bien souvent même pas explosé. On découvre ici ce qui a été leur vie après leur engagement. Beaucoup sont mortes jeunes, certaines ont poursuivi la lutte sur d’autres fronts, d’autres enfin se sont fondues dans la société algérienne, victimes d’un machisme endémique qui les a muselées et reléguées à des tâches subalternes, en les invisibilisant. Le constat est d’autant plus amer qu’il montre à quel point l’indépendance à laquelle elles ont contribué les a laissées au bord du chemin, en entraînant une régression de leur statut social. Il faut écouter ces femmes s’exprimer aujourd’hui pour mesurer l’injustice dont elles ont été victimes. Leurs voix, Yann Le Masson les a entendues à l’époque, mais n’est jamais parvenu à en diffuser les propos qui résonnent aujourd’hui d’une actualité troublante… Raphaël Pillosio lève aujourd’hui un coin du voile en mettant en évidence cette profonde injustice de l’histoire qui a consisté à éclipser le rôle joué par ces femmes. Cette entreprise de réhabilitation massive éclaire d’un jour nouveau le sort réservé par l’Algérie à ces combattantes littéralement dépossédées de leur engagement. Preuve que certaines histoires restent encore à écrire.
Jean-Philippe Guerand
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