Film français de Fabienne Godet (2025), avec Denis Podalydès, Salif Cissé, Aure Atika, Clara Bretheau, Manon Clavel, Ismaël Sy Savané, Harrison Arevalo, Serge Postigo… 1h42. Sortie le 4 juin 2025.
Denis Podalydès et Salif Cissé
Un écrivain las de voir ses appels téléphoniques perturber sa concentration décide d’engager pour répondre à sa place… un imitateur. Une idée assez saugrenue développée par Fabienne Godet et Claire Barré d’après un livre de Luc Blanvillain (Quidam, 2020) qui ouvre la voie à une comédie insolite dans laquelle le pur esprit incarné par Denis Podalydès donne un nouvel élan imprévu à son quotidien. Il utilise à cet effet la voix d’un acteur dont c’est l’outil de travail et qui sait jouer mieux que personne de ses plus subtiles intonations, quitte à improviser quand il se prend au jeu et croit judicieux d’essayer d’arrondir les angles entre celui dont il tient le rôle vocalement et son entourage dans lequel il s’insinue. Son commanditaire ne mesure toutefois pas vraiment l’univers imprévisible dans lequel il s’engage ainsi en confiant à un autre le soin de le représenter, non seulement auprès de tous les correspondants inconnus et des intrus qui le harcèlent, mais en prêtant une oreille attentive à ses proches, y compris celles et ceux auxquels il n’a pas toujours envie d’accorder son attention. D’un coup, d’un seul, c’est un homme qui se soulage de son intimité auprès d’un tiers et qui voit cet inconnu provoquer un dédoublement involontaire de sa personnalité en s’installant malgré lui dans sa place de cerveau disponible. Le point de départ peut prêter à rire. Il engendre des conséquences pour le moins inattendues et surtout des questions abyssales que le scénario exploite avec une indéniable invention. Ne serait-ce que parce que l’écrivain est ce qu’il convient de qualifier de vieux mâle blanc et sa voix et que ses oreilles de substitution appartiennent à un jeune homme de couleur qui pourrait être son fils et l’aide d’ailleurs à résoudre une paternité qui le met plutôt mal à l’aise.
Salif Cissé
Cette intrusion d’un homme dans l’intimité d’un autre est le superbe point de départ d’une comédie humaine, couronné d’un prix du public particulièrement convoité au festival de l’Alpe-d’Huez, qui s’avère d’une profondeur inattendue. Il mérite en tant que tel d’engendrer des remakes sous d’autres latitudes et des déclinaisons théâtrales ou littéraires, tant son potentiel s’avère de nature à susciter des développements infinis. Tel quel, le film qu’en tire Fabienne Godet souligne à quel point la voix est intimement liée à une personnalité, en associant l’intellectuel campé par Denis Podalydès avec son double vocal qu’incarne Salif Cissé, le contraste entre ces deux hommes étant particulièrement saisissant et ajoutant une touche savoureuse au propos, même si le prête-nom s’exprime en fait à l’écran par la voix de deux imitateurs, ce qui amoindrit quelque peu sa performance. C’est la seule réserve qu’on puisse émettre vis-à-vis de cette comédie enjouée qui distille quelques vérités bien senties sur ce que représente vraiment l’intimité. Derrière la comédie, affleure une réflexion passionnante sur la notion même de personnalité. Jusqu’où peut se permettre d’aller un homme qui prête sa voix et à un autre, se prend en jeu et entreprend de se lancer dans des initiatives personnelles sous prétexte de venir en aide à celui qu’il était supposé suppléer pour lui rendre un simple service matériel ? Les développements successifs du scénario entraîne la comédie dans une dimension imprévue où tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Au point d’imaginer une variation beaucoup plus noire à partir du même point de départ qui dégénèrerait sur un mode tragique. Ce Répondeur recèle décidément un nombre considérable d’hypothèses potentielles. Reste juste à savoir si le cinéma exploitera vraiment cette aubaine autrement que sous forme de remakes.
Jean-Philippe Guerand
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