Frammenti di un percorso amoroso Documentaire italien de Chloé Barreau (2023), avec Rebecca Zlotowski, Anna Mouglalis, Anne Berest, Jeanne Rosa, Ariane Deboise, Jean-Philippe Raiche, Sébastien Ryckelynck, Laurent Charles-Nicolas, Bianca di Cesare, Marina Jankovic, Marco Giuliani… 1h35. Sortie le 4 juin 2025.
Anna Mouglalis
Certains projets défient l’imagination et outrepassent les règles élémentaires de la bienséance. Chloé Barreau signe avec son premier long métrage une entreprise pour le moins singulière par son narcissisme assumé et un exhibitionnisme qui peuvent mettre mal à l’aise sinon choquer. Avant même de devenir réalisatrice, elle a tenu le journal filmé de ses amours et en livre aujourd’hui des extraits qui créent un malaise indéniable en raison de la personnalité de ses amants et surtout de ses maîtresses. Est-ce pour cette raison que Fragments d’un parcours amoureux (dont le titre paraphrase évidemment les “Fragments d’un discours amoureux” de Roland Barthes) arbore la nationalité italienne ou parce que la réalisatrice et sa compagne actuelle se sont installées dans le pays natal de cette dernière ? Toujours est-il que cet étalage assez impudique de home movies va de pair avec des entretiens délégués par la réalisatrice à des collaborateurs qui questionnent ses ex sur celle qu’elle a été et leurs relations véritables. Exercice périlleux qui assigne le spectateur à une situation d’autant plus inconfortable que Chloé Barreau a entretenu des liaisons avec des futures vedettes qu’on connaît aujourd’hui dans un tout autre contexte et dont elle a parfois constitué l’unique aventure homosexuelle. Se succèdent ainsi devant sa caméra la réalisatrice Rebecca Zlotowski, les comédiennes Anna Mouglalis et Jeanne Rosa, ainsi que la romancière et scénariste Anne Berest. Des personnalités médiatiques du tout-Paris que la cinéaste entraîne dans son sillage, sans se mettre elle-même en avant autrement qu’au générique de fin à travers des photos. C’est dire combien cette entreprise instaure un sentiment désagréable de malaise.
Fragments d’un parcours amoureux pose un problème déontologique fondamental lié à la nature même du cinéma documentaire : jusqu’où a-t-on le droit d’aller sous prétexte de naviguer dans les eaux parfois troubles de l’autofiction ? Parler de soi, c’est mettre en cause des protagonistes qui n’ont pas nécessairement envie d’être embarqués dans cette opération de déballage public. Exhiber le passé avec des années de retard, c’est aussi prendre le risque de revenir sur des erreurs de jeunesse et nuire à l’image qu’ont construit certaines de ces personnes publiques dans l’opinion. Reste qu’un élément déterminant manque au dossier : qui donc est Chloé Barreau pour avoir ainsi accroché à son palmarès de tels trophées de chasse amoureuse. Cette question fondamentale, son film n’y répond pas vraiment. Il nous place devant des faits accomplis, sans qu’on comprenne avec quelles techniques de séduction la cinéaste est parvenue à attirer ses conquêtes des deux sexes. Il y a toutefois quelque chose de profondément touchant dans ce déballage intime dont les protagonistes ont après tout consenti à répondre aux questions que leur pose leur ex en utilisant pour cela une voix intermédiaire qui crée une distance avec ses interlocuteurs qu’elle questionne sans affect. Ce qu’on ignore, en revanche, ce sont les choix qu’elle a appliqué au montage. Le résultat est en l’état une expérience radicale de cinéma vérité dont l’effet le plus immédiat consiste à changer notre regard sur les plus célèbres de ses partenaires amoureux. Mais on reste tout de même assez loin du pouvoir de déflagration que se sont approprié depuis les réseaux sociaux. Ne serait-ce que parce qu’à l’origine de ces histoires, il y avait au moins de l’amour.
Jean-Philippe Guerand
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