Film franco-belgo-italien de Laurent Cantet et Robin Campillo (2025), avec Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez, Maksym Slivinskyi, Nathan Japy, Malou Khebizi, Vladislav Holyk, Philippe Petit… 1h42. Sortie le 18 juin 2025.
Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino
Mort le 25 avril 2024, Laurent Cantet venait de mettre la dernière main avec son complice de toujours Gilles Marchand au scénario de son nouveau long métrage dont il a souhaité qu’un autre de ses proches, Robin Campillo, le mette en scène. Il est amusant d’essayer aujourd’hui de distinguer ce que le film doit à l’un ou à l’autre. Cette histoire se déroule à La Ciotat, berceau du cinéma dont témoignent la plus vieille salle du monde et le Palais Lumière où les inventeurs du septième art avaient coutume de passer leurs vacances. La misère la plus extrême y côtoie aujourd’hui une prospérité liée aux chantiers navals qui se consacrent désormais à la fabrication exclusive de yachts et de bateaux de plaisance. Ce cadre aussi enchanteur que trompeur, Laurent Cantet l’avait déjà utilisé dans L’atelier (2017) qu’il avait d’ailleurs écrit avec Campillo. Celui-ci y circonscrit dans Enzo le destin singulier d’un fils de bourgeois en plein doute qui se fait engager comme maçon sur un chantier où il sympathise avec des travailleurs immigrés dont deux ouvriers ukrainiens. Le film joue en outre sur la topographie des lieux où les riches vivent sur les hauteurs et dominent ainsi symboliquement le reste de la population. Au-delà de cet argument, Enzo est la chronique d’un adolescent en crise qui cherche vainement sa place dans un monde que son milieu lui a interdit de connaître jusqu’à présent. À travers la mixité sociale, il cherche d’abord à se situer à un moment de son existence où se présentent des choix déterminants pour un avenir que ses parents ont cru bon de tracer à sa place en provoquant sa révolte. Avec son frère aîné comme préfiguration inconsciente de ce à quoi pourrait ressembler son avenir de “gosse de riches”. Il est d’ailleurs intéressant de voir le parti que tire Campillo de la piscine familiale, ce signe extérieur de richesse où se cristallisent les affrontements et les malentendus.
Eloy Pohu et Maksym Slivinskyi
Il est très intéressant d’essayer d’identifier ce qui vient de Laurent Cantet et ce qui revient à Robin Campillo en confrontant Enzo aux autres films des deux réalisateurs. On retrouve la fascination du premier pour le monde du travail (Ressources humaines) et cette étape cruciale que représentent les années d’apprentissage (Entre les murs). Et du réalisateur de 120 battements par minute un questionnement autour de l’identité sexuelle. Le film apparaît en fait comme une sorte de subtil croisement de leurs univers respectifs qui montre un monde dominé par les vestiges de la lutte des classes où un fils de bourgeois qui travaille comme ouvrier apparaît en proie à une crise existentielle grave, tant son attitude manifeste un rejet de son milieu. Il va pourtant vivre cette expérience comme une épreuve enrichissante au contact de deux Ukrainiens qui lui font réaliser ce qu’endure leur peuple, mais aussi prendre conscience e sa propre identité sexuelle encore floue. La multiplicité des thèmes qu’aborde le film à travers ce jeune homme en crise nourrit un personnage qu’incarne merveilleusement bien Eloy Pohu (choisi par Campillo avec Cantet) sur la corde raide de sentiments qui le dépassent et que ses parents mettent hâtivement sur le compte d’une crise d’adolescence mal vécue. À travers ce sujet, Enzo souligne la rigidité du conditionnement social mais aussi sexuel, face à tous ces murs de verre qui nous cantonnent malgré nous à un rôle contraignant. C’est un film magnifique où l’on éprouve le sentiment rare que tout peut arriver à n’importe quel moment.
Jean-Philippe Guerand
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