Film français de Lola Doillon (2025), avec Jehnny Beth, Thibaut Evrard, Mireille Perrier, Irina Muluile, Julie Dachez, Fabienne Casalis, Philippe Le Gall, Johnny Montreuil, Emmanuelle Schaaff… 1h40. Sortie le 11 juin 2025.
Un malaise peut en cacher un autre. Au mitan de la trentaine, Katia a depuis toujours du mal à gérer le quotidien de ses relations humaines, que ce soit sur le plan professionnel ou affectif. Une attitude qui la dépasse et dont le diagnostic tardif va la bouleverser et la faire basculer dans une autre dimension par les conséquences qu’elle implique et les réactions pour le moins inattendues qu’elle suscite parmi son entourage. Le titre du quatrième film de Lola Doillon conjugue la multiplicité de ces regards en accolant à cette femme un terme réducteur et sans appel qui reflète autant de méfiance que d’incompréhension. La réalisatrice a trouvé l’interprète idéale en la personne de la chanteuse Jehnny Beth, trop souvent réduite jusqu’ici à la portion congrue dans des films plutôt anticonformistes de Catherine Corsini, Jacques Audiard ou Justine Triet. La réalisatrice exploite à merveille son étrangeté naturelle qu’on est tenté de mettre ici sur le compte de la timidité et du mal-être de son personnage inadapté à la société. Jusqu’au moment où une autre vérité affleure qui remet en cause toutes nos certitudes préalables et l’aide enfin à se situer donc à assumer son comportement. Là se situe le point de rupture du film qui dresse le portrait d’une femme qu’on appréhende comme bizarre avant de la considérer comme un cas thérapeutique identifié dont la seule appellation devient une sorte de protection naturelle.
Lola Doillon tire un parti très juste de cette situation en montrant à quel point cette révélation affecte le regard de ses proches et les contraint à pratiquer un effort sur eux-mêmes qu’ils ne sont pas tous disposés à accomplir, tant il les assigne à l’inconfort et les renvoie à la situation antérieure donc à leurs erreurs d’appréciation. Le scénario passe ainsi en revue les réactions des proches de l’héroïne, à commencer par sa mère campée par la merveilleuse Mireille Perrier qui refuse de se remettre en question et ne voit pas pourquoi sa fille se mettrait brusquement à souffrir d’une pathologie identifiée, là où les siens mettaient son comportement sur le compte d’un caractère soupe-au-lait et capricieux. On hésite à en rire ou à en pleurer… Quant à son patron faussement compatissant, il ne voit dans cette situation nouvelle qu’une occasion d’en tirer parti en requalifiant sa collaboratrice d’adulte handicapée pour en tirer un profit inattendu. Le film s’attache à une personnalité qu’on pourrait considérer comme caractérielle et imprévisible, avant de bousculer ces apparences en mettant un nom sur cette pathologie. Dès lors, Lola Doillon renverse le point de vue et porte un nouveau regard sur sa protagoniste qui n’est plus le point de vue du film, mais devient en quelque sorte son objet exclusif, ce que son héroïne malgré elle s’est toujours évertuée à éviter pour ne pas attirer l’attention. L’expérience s’avère passionnante autant sur le plan psychologique que dramatique. C’est même le principal intérêt de ce film aussi étrange que sa protagoniste si différente.
Jean-Philippe Guerand
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