Film français de Johann Dionnet (2025), avec Baptiste Lecaplain, Alison Wheeler, Lyès Salem, Elisa Erka, Rudy Milstein, Johann Dionnet, Amaury de Crayencour, Romain Francisco, Matthieu Burnel, Constance Carrelet, Guillaume Clérice, Ariane Mourier… 1h44. Sortie le 18 juin 2025.
Belle idée que de prendre pour cadre le festival d’Avignon, institution qui brasse chaque année les rêves et les illusions de tant de bateleurs et de saltimbanques. On avait eu un aperçu documentaire savoureux de ces obscurs, ces sans-grade il y a quelques mois dans l’un des sketches du film Strip tease intégral où l’on suivait un couple de passionnés en quête de notoriété, mais aussi de deux comédiens illustres suivis hors de la scène par Benoît Jacquot dans Par cœurs (2022). Le premier film de Johann Dionnet -prolongement de son court métrage Je joue Rodrigue (2022)- nous entraîne dans le off en compagnie d’une troupe qu’intègre au dernier moment un comédien en période de doute. Lorsque ce dernier croise une actrice de renom qui ne lui est pas indifférente, il se fait passer pour la vedette qu’il n’est pas et se prend lui-même au piège de son mensonge en accumulant les mensonges et les quiproquos. Derrière ce scénario au fond assez conventionnel, le film repose sur l’exploration d’un monde à part où le temps semble suspendu et où le savoir-faire finit par être submergé par le faire-savoir. On y croise des fous de théâtre qui s’entassent dans des salles louées à l’heure pour découvrir les plus improbables des spectacles aux heures les plus saugrenues. Avec le secret espoir d’attirer l’attention des gens qui comptent et pourraient transformer leurs espoirs en carrière à long terme. Lui-même acteur, Johann Dionnet a écrit son film avec Benoît Graffin et pointe justement tous les enjeux de son postulat de départ sans jamais verser dans la caricature ni même la férocité ou l’aigreur. Ses personnages sont des puristes animés d’une véritable envie de jouer et de se faire remarquer dans un milieu où la vanité fait partie intégrante du jeu. À Avignon, l’essentiel est d’exister, même s’il faut pour cela tracter sans relâche afin d’attirer l’attention et de remplir les salles, aussi exiguës puissent-elles être.
Couronné du grand prix et du prix coup de cœur au dernier festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez où la concurrence est particulièrement rude donc les trophées valorisants, Avignon assume son classicisme en faisant la part belle à ses interprètes. Là encore, Johann Dionnet parie sur des talents sûrs, mais pour la plupart pas considérés comme des vedettes de cinéma installées. L’humoriste Baptiste Lecaplain poursuit son petit bonhomme de chemin à l’écran un an après Belle enfant de Jim et s’impose naturellement dans un rôle dont la principale composante ne consiste pas à provoquer un rire franc et massif, mais plutôt une émotion diffuse. Il trouve par ailleurs en Alison Wheeler une partenaire de choix, là encore dans un emploi ingrat de bonne copine toujours à l’écoute où elle excelle sur le registre de la frustration. Entre la star qui joue la partenaire de “Ruy Blas” et le rêveur qui interprète “Ma sœur s’incruste” en se rêvant dans “Le Cid”, la passion se résume à une querelle d’ego qui en dit assez long sur ce métier consistant avant tout à plaire pour exister voire simplement se faire remarquer au beau milieu de ce qui ressemble parfois à une véritable cour des miracles, avec comme phare la fameuse cour du Palais des Papes. Loin de jouer les donneurs de leçons, Johann Dionnet tire les enseignements qui s’imposent de son expérience personnelle et signe une réflexion intelligente sur ce qu’on pourrait appeler la rançon de la gloire en nous montrant pour une fois le théâtre à la hauteur de ces acteurs de moindre renom qui brûlent pourtant de la même passion que leurs illustres collègues, mais ne bénéficient pas du même éclairage, malgré les efforts démesurés qu’ils consacrent à tracter pour attirer le chaland. Avignon leur rend le plus tendre des hommages, en célébrant le métier d’acteur comme un sacerdoce passionné.
Jean-Philippe Guerand
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