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“Au rythme de Vera” d’Ido Fluk



Köln 75 Film germano-polono-belge d’Ido Fluk (2025), avec Mala Emde, John Magaro, Michael Chernus, Ulrich Tukur, Jördis Triebel, Alexander Scheer, Shirin Lilly Eissa, Enno Trebs, Susanne Wolff, Marie-Lou Sellem, Leo Meier, Corey Johnson… 1h56. Sortie le 25 juin 2025.



Mala Emde



Les biopics musicaux se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours. Sous couvert d’évoquer un concert mythique donné il y a un demi-siècle par Keith Jarrett, le réalisateur new-yorkais Ido Fluk adopte un angle singulier qui consiste à dresser le portrait de la jeune femme sans la ténacité de laquelle cet événement musical ne se serait sans doute jamais produit. Une gamine de 18 ans qui vit encore chez ses parents à l’époque et va manifester un culot incroyable pour attirer le musicien à l’opéra de Cologne où il va improviser seul sur un piano quart de queue passablement désaccordé qui incitera ce perfectionniste à s’avouer insatisfait du résultat et par la suite à s'associer à ce film. Un enregistrement vendu à trois millions et demi d’exemplaires qui deviendra ainsi non seulement son plus grand succès personnel, mais le champion absolu des albums de jazz. Le destin d’Eva Brandes est de ceux qui forcent l’admiration, tant elle a su user de sa force de conviction pour organiser sa première tournée pour le légendaire jazzman britannique Ronnie Scott à seulement 16 ans, puis deux ans plus tard la série de concerts “New Jazz in Cologne” donné par des sommités en la matière. Le film s’arrête sur sa personnalité hors du commun et les efforts démesurés qu’elle a dû déployer pour convaincre le musicien américain Keith Jarrett de se produire à Cologne. Une prestation de légende dont le réalisateur italien Nanni Moretti popularisera d’ailleurs l’un des motifs dans son film Journal intime (1993).



Mala Emde



Au rythme de Vera relate cette incroyable aventure musicale du point de vue de son organisatrice qui s’introduit dans ce sérail pour parvenir à ses fins et manifeste son pouvoir de conviction en usant du téléphone comme d’une arme absolue. L’une des réussites du film repose sur la qualité de sa reconstitution de l’Allemagne fédérale avec ses blocs de béton austères. Avec toutefois un sérieux handicap à la clé : le refus de Keith Jarrett de soutenir ce projet, car malgré l’engouement de ses fans, il n’a jamais tenu en bien haute estime ce récital pourtant devenu mythique et a en conséquence refusé d’en céder les droits musicaux, au risque d’hypothéquer la production même du film. Sa spécificité consiste toutefois à adopter le point de vue de ce personnage de l’ombre qu’est une productrice, en l’occurrence dans ce cas une jeune femme inexpérimentée qui se laisse porter par son rêve afin de faire tomber les obstacles les plus démesurés, à une époque où ce métier est encore dominé de façon écrasante par les hommes. Le rôle de Vera Brandes est incarné par la comédienne Mala Emde dont la notoriété modeste sert habilement un propos qui consiste à souligner ce mélange détonnant d’inexpérience et de détermination inhérent à son âge. Le film reconstitue minutieusement son époque et plus encore l’esprit qui soufflait encore sur l’Europe de l’Ouest à cette époque post-soixante-huitarde où tout paraissait encore possible pour les aventuriers de l’art prêts à tout pour aller au bout de leur rêve et de leur passion.

Jean-Philippe Guerand





John Magaro

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