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“Amélie et la métaphysique des tubes” de Mailys Valade et Liane-Cho Han

 


Film d’animation français de Mailys Valade et Liane-Cho Han (2025), avec (voix) Loïse Charpentier, Victoria Grosbois, Isaac Schoumsky, Laetitia Coryn, Yumi Fujimori, François Raison, Marc Arnaud, Haylee Issembourg, Emmylou Homs, Cathy Cerda… 1h17. Sortie le 25 juin 2025.





L’itinéraire littéraire d’Amélie Nothomb est à la fois rectiligne et singulier. Son ossature reconstitue en filigrane la destinée singulière de cette fille de diplomate belge à qui une affectation de son père a valu de passer ses premières années au Japon, pays dont la civilisation et l’état d’esprit ont contribué à forger son caractère. Elle relate ainsi ses premières années dans “Métaphysique des tubes” (Albin Michel, 2000), son huitième roman qui inspire aujourd’hui le premier long métrage de Mailys Valade et Liane-Cho Han. Elle en est aussi le personnage principal, bébé réduit à la condition primitive d’un être vivant qui consiste à se nourrir, s’abreuver, dormir et soulager des besoins biologiques naturels. Jusqu’à ce moment crucial de ses 3 ans où le poupon vagissant semble décider de s’intégrer à son cercle familial en manifestant les premiers signes extérieurs de sa personnalité. Le tout dans un contexte particulier où Amélie entretient une complicité particulière avec sa nounou japonaise Nishio-san qui contribuera pour une bonne part à façonner son caractère et à lui inculquer une certaine philosophie de la vie. Comme le souligne son titre, Amélie ou la métaphysique des tubes revendique un solide caractère autobiographique à travers lequel l’écrivaine belge se raconte à l’état végétatif avec son humour coutumier. Le film ne se réfère pas pour autant à l’esthétique des mangas ou des animes, mais plutôt à un trait tout en douceur associé à des teintes pastel tels qu’on peut en voir dans certaines chambres d’enfants.





On réalise en découvrant Amélie et la métaphysique des tubes à quel point la prose de la romancière et son humour pince-sans-rire parfois déconcertant siéent à un traitement sous forme d’animation. Le cadre nippon est en outre propice à une forme exotico-poétique qui confère à certaines séquences un caractère qui évoque avec une certaine réussite le principe des haïkus, ces poèmes de dix-sept syllabes réparties en trois vers. Le film repose sur une construction sous forme de séquences qui décrivent dans un premier temps les conséquences de l’irruption d’Amélie, être mystérieux qui écoute, ne parle jamais, mais commente le moindre événement en son for intérieur. Avec sa mère qui s’ébaubit de la moindre de ses réactions, son père peu présent, son frère aîné qui se gausse et cette fameuse nourrice japonaise qui semble cultiver une complicité énigmatique avec le bébé fondée davantage sur les silences que les mots. Dès lors, l’irruption de la parole est décrite comme un séisme familial par ses conséquences et ses répliques. Plébiscité par le public du festival d’Annecy, le film de Mailys Valade et Liane-Cho Han réussit la prouesse de respecter l’esprit du livre d’Amélie Nothomb, tout en le parant d’une esthétique qui rend certains aspects de sa complexité psychologique accessible au public le plus jeune. Un peu comme si le bébé réussissait à s’adresser à ceux de son âge aussi bien qu’à leurs aînés, mais avec des niveaux de lecture multiples. Et ça, c’est un authentique tour de force sur le plan sémiologique.

Jean-Philippe Guerand




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