Bo-tong-ui ga-jog Film sud-coréen de Jin-Ho Hur (2023), avec Sul Kyung-gu, Jang Dong-gun, Kim Hee-ae, Claudia Kim, Yoo In-sun, Hong Ye-ji… 1h49. Sortie le 11 juin 2025.
Sul Kyung-gu, Claudia Kim, Kim Hee-ae et Jang Dong-gun
Un hurluberlu aux commandes d’un bolide agresse un automobiliste à un feu dans ce qui ressemble à un acte gratuit de violence routière. Le ton est donné de cette étude de mœurs cruelle et caustique où tout semble permis pour peu qu’on en ait les moyens. Deux frères au train de vie enviable se retrouvent régulièrement à dîner dans le salon privé d’un restaurant de Séoul où leurs compagnes jouent les potiches. Quand l’avocat affecté à la défense du chauffard se trouve confronté à des sentiments qui questionnent sa conception intime de la morale, un événement survient au cœur de son propre cercle familial qui fait voler en éclats cette fratrie de notables coupée des réalités. A Normal Family s’inscrit dans la tradition la plus dure du cinéma coréen, celle qui a engendré Parasite, la Palme d’or quadruplement oscarisée du maître subversif Bong Joon-ho. Paradoxalement, pourtant, son scénario -que s’est contenté de mettre en scène Jin-Ho Hur, réalisateur révélé à la Semaine de la critique en 1998 avec Christmas in August- s’inspire d’un roman du Néerlandais Herman Koch intitulé “Le dîner” (Belfond, 2011) qui a déjà donné lieu à trois adaptations cinématographiques aux États-Unis et en Italie. Preuve que ce qui se joue ici relève d’un sacro-saint statut social qui relègue tous les autres signes extérieurs de richesse à un statut accessoire. Or quand le paraître se met à primer sur l’être, rien ne va plus et gare aux conséquences si le vernis se met à craquer.
Kim Hee-ae (à gauche)
Le sujet d’A Normal Family s’inscrit naturellement dans le contexte d’une Corée du Sud où le libéralisme est devenu un dogme absolu, quitte à favoriser l’émergence d’une version encore plus radicale de la lutte des classes dans un meilleur des mondes qui n’apparaît que comme un rideau de fumée. Le film en donne d’ailleurs une illustration saisissante au cours d’une scène où des gosses de riches passent à tabac un sans-abri avec un acharnement d’une rare barbarie. Là éclate la violence gratuite et barbare de cette société inhumaine qui a perdu le sens des valeurs le plus élémentaire. Dès lors, plus rien ne semble retenir ces intouchables prêts à tout pour sauvegarder leurs privilèges. Les apparences s’avèrent aussi rudes que le film apparaît âpre et désabusé. On y entrevoit un monde à part où la morale n’est plus vraiment une valeur noble, car l’essentiel est ailleurs : dans la préservation à tout prix d’un statut social qui donne à peu près tous les droits, à commencer par celui de commettre des actes gratuits en toute impunité, pour peu qu’on accepte d’en acquitter le prix, aussi exorbitant puisse-t-il paraître. Dès lors, tout est permis. Derrière son titre ironique, A Normal Family propose une vision du monde terrifiante qui ressemble à un éloge narquois et désabusé du libéralisme le plus décomplexé. Mieux vaut encore en rire…
Jean-Philippe Guerand
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