Treasure Film franco-germano-polono-américain de Julia von Heinz (2024), avec Lena Dunham, Stephen Fry, Zbigniew Zamachowski, Tomasz Wlosok, Iwona Bielska, Maria Mamona, Wenanty Nosul, Klara Bielawka, Magdalena Celówna-Janikowska, Oliver Ewy, Sandra Drzymalska, André Hennicke, Petra Zieser, Izabela Gwizdak, Adam Verhaus… 1h52. Sortie le 9 avril 2025.
Lena Dunham et Stephen Fry
Il arrive que s’instaurent des liaisons souterraines entre certains films que l’actualité propulse simultanément sur les écrans. Le quatre-vingtième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz a ainsi engendré plusieurs projets indépendants les uns des autres qui interrogent la mémoire des descendants des victimes de la Shoah. C’était le cas récemment d’A Real Pain dans lequel Jesse Eisenberg met en scène le pèlerinage mémoriel de deux cousins new-yorkais en hommage à leur grand-mère déportée. Et voici qu’un autre film signé par la réalisatrice berlinoise Julia von Heinz, et tiré du roman de Lily Brett jamais traduit en français “Too Many Men” (1999), s’attache à une jeune femme rongée par un profond malaise existentiel qui embarque son géniteur dans cette Pologne dont il est originaire, mais où il n’a jamais souhaité retourner. Un compagnonnage heurté, dans la mesure où ce bon gros géant préfère plaisanter, là où sa fille aimerait juste qu’il lui parle de ce passé enfoui, en lui déniant ainsi un accès à ses racines. Leur cohabitation va toutefois provoquer des effets inattendus dans un pays qui affiche encore les stigmates de son antisémitisme endémique. On distingue ainsi sur un mur un graffiti obscène représentant une étoile de David posée sur un gibet, plus édifiant que tous les discours. Un état d’esprit d’autant plus irrationnel aujourd’hui que ce pays a chassé de son sol l’intégralité de sa population juive parquée dans des ghettos d’où elle a été expulsée pour être exterminée dans sa grande majorité vers les camps que les Nazis avaient eu la clairvoyance d’édifier dans ce territoire annexé, ce qui équivalait à déplacer une scène de crime. Comme pour s’en laver les mains avec la complicité d’une population largement favorable à la Solution Finale.
Stephen Fry, Lena Dunham et Zbigniew Zamachowski
Voyage avec mon père est évidemment fondé sur les rapports heurtés de ses deux personnages principaux, elle (l’impeccable Lena Dunham) pétrie de névroses dont atteste son surpoids, lui (l’irrésistible Stephen Fry) réfugié derrière un humour et une sérénité à toute épreuve qui vont peu à peu se fissurer au contact de ces lieux chargés de lointains souvenirs. Jusqu’au moment où le vernis craque, lorsqu’ils se rendent ensemble dans l’immeuble où le père a grandi et où l’un des habitants lui sert le thé… dans le service en porcelaine de sa grand-mère. Dès lors, l’émotion que distille le film va crescendo et nous prend à son piège. Avec cette ironie que ces inconnus qui ont élu domicile dans l’appartement de son enfance sont eux-mêmes des parias, en l’occurrence des laissés-pour-compte devenus squatters malgré eux. Cruelle ironie du sort qui donne le ton de ce film impitoyable capable de passer d’un malentendu intime à une réflexion en profondeur sur les errements moraux d’un pays qui n’en a pas terminé avec ses pires démons. Il aura tout de même fallu huit décennies pour que le cinéma appuie là où ça fait mal en montrant l’impact indélébile de ces crimes contre l’humanité sur ceux qui y ont échappé, ont refusé d’en parler et ont ainsi laissé un poison violent contaminer leur descendance, sans essayer de prendre la parole pour panser ces plaies une fois pour toutes. Voyage avec mon père constitue à ce titre un authentique numéro de haute voltige qui résonne comme un cri du cœur déchirant au beau milieu d’un silence trop longtemps entretenu.
Jean-Philippe Guerand
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