Accéder au contenu principal

“Mikado” de Baya Kasmi



Film français de Baya Kasmi (2024), avec Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia, Patience Munchenbach, Saül Benchetrit, Louis Obry, Sophie Garagnon… 1h34. Sortie le 9 avril 2025.



Ramzy Bedia, Vimala Pons et Félix Moati



Film après film, Baya Kasmi s’éloigne des genres identifiés. Elle avait passé un cap décisif avec le précédent, Youssef Salem a du succès (2022) après avoir affiné ses thèmes de prédilection, d’abord en tant que scénariste de son ex-compagnon, Michel Leclerc, du Nom des gens (2010) au Mélange des genres (sortie le 16 avril), ensuite en volant de ses propres ailes de réalisatrice depuis Je suis à vous tout de suite (2015). Le tout en fédérant une petite troupe de fidèles d’où émergent des visages désormais familiers, à commencer ici par Félix Moati, Vimala Pons et Ramzy Bedia. Mikado est le père d’une famille plutôt bohème qui vit en marge de la société, mais doit se résoudre à assumer ses responsabilités quand l’administration lui demande des comptes. Face à l’inhumanité ambiante, il a baptisé ses enfants Nuage et Zéphir. Comme pour donner davantage de légèreté à un monde qui en manque parfois cruellement. Reste que ceux-ci n’ont pas d’existence légale, faute d’avoir été déclarés à la naissance. Une anomalie qui renvoie leur père à sa propre situation et est à l’origine d’un profond séisme émotionnel pour l’ensemble du clan.



Vimala Pons et Ramzy Bedia



Ce scénario, la réalisatrice a choisi de l’écrire avec deux personnalités qui partagent un même goût pour les grands sentiments et les écorchés de la vie : l’écrivain Olivier Adam (Je vais bien, ne t’en fais pas) et la réalisatrice Magaly Richard-Serrano (Dans les cordes). Le couple formé par Vimala Pons et Félix Moati a choisi de vivre en marge pour des raisons que le film révèlera, sans pour autant prendre le maquis comme Céline Sallette et Mathieu Kassovitz dans Vie sauvage (2014) de Cédric Kahn. C’est un choix, mais subi. Un ennui mécanique va conduire la petite famille à accepter l’hospitalité d’un professeur et de sa fille qui va engendrer un véritable choc culturel et faire bouger les lignes. Cette interférence de deux mondes qui n’auraient jamais dû se rencontrer est pour Baya Kasmi l’occasion de poursuivre sa réflexion sur notre société et ces cloisonnements artificiels qui la fracturent en empêchant les individus d’évoluer en toute autonomie. C’était déjà le cas de Youssef Salem, le fils des cités qui utilisait son vécu pour devenir écrivain dans son film précédent. Une préoccupation à laquelle ne s’intéresse que trop rarement le cinéma, alors qu’elle se trouve au cœur de tous les clivages qui sapent les fondations de la société française et de ce fameux “vivre ensemble” si souvent invoqué comme une panacée universelle.



Vimala Pons, Patience Munchenbach

Louis Obry et Félix Moati



La question que pose ce film est rien moins qu’abyssale. Elle a à voir avec cette panne de l’ascenseur social si souvent stigmatisée par les partis politiques et les syndicats. La réalisatrice aborde ici les rapports humains comme une formule chimique et en observe les effets sur les uns comme sur les autres. Avec à l’intersection de ces deux mondes, Nuage, cette adolescente que son âge incite à vouloir se fondre dans la foule, quitte pour cela à faire défection à sa tribu d’origine. La singularité du film consiste à brouiller les pistes sans s’astreindre à respecter les codes d’un genre prédéfini. Le Road Movie du début glisse peu à peu vers un subtil mélange entre la comédie de mœurs et le drame psychologique et, plus audacieux encore, un changement de point de vue de Mikado à Zéphir. Une audace payante, dans la mesure où le film prend pour prétexte une histoire pour nous mener à une autre et montre un personnage obligé de régler ses comptes avec son passé pour pouvoir affronter l’avenir. Impossible de ne pas souligner ici la difficulté du défi relevé par Félix Moati qui doit prendre le risque de se montrer antipathique pour mieux susciter la compassion et dont le nom peut donner lieu à au moins deux interprétations. Phonétiquement, Mikado peut se lire comme “mi-cadeau”. C’est aussi un jeu d’adresse et de stratégie qui consiste à extirper des bâtonnets enchevêtrés sans faire bouger les autres. Tout un programme !

Jean-Philippe Guerand






Patience Munchenbach, Louis Obry

Félix Moati et Vimala Pons

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...