Accéder au contenu principal

“Little Jaffna” de Lawrence Valin



Film français de Lawrence Valin (2024), avec Lawrence Valin, Puviraj Raveendran, Vela Ramamoorthy, Radhika Sarathkumar, Marilou Aussilloux, Kawsie Chandran, Sajinthan Santhiran… 1h39. Sortie le 30 avril 2025.



Lawrence Valin et Puviraj Raveendran



Le cinéma apparaît de plus en plus comme un melting-pot où trouvent à s’exprimer les communautés voire les minorités les mieux cachées. Little Jaffna est ainsi le surnom donné à quelques rues de Paris où s’est regroupée la communauté tamoule suspectée d’abriter pour partie la diaspora sri-lankaise et en son sein la base arrière de la rébellion séparatiste en lui fournissant des moyens logistiques. Une enquête délicate à travers des réseaux d’influence tortueux pour laquelle les services de contre-espionnage français délèguent un agent infiltré chargé de réunir les preuves de ces activités illégales qui relèvent du terrorisme international. Ce rôle est interprété par l’homme qui a initié, produit, écrit et réalisé le film, Lawrence Valin. Un homme-orchestre qui réussit la prouesse insigne de faire exister ce microcosme identifiable à ses restaurants, à ses épiceries et à ses bazars dont le folklore n’apparaît en fait que comme la façade pittoresque d’une organisation criminelle redoutable et tentaculaire. Little Jaffna applique les codes du film noir à un thriller efficace dont les séquences d’action se réfèrent explicitement à certaines civilisations asiatiques adeptes des arts martiaux, et notamment le Hong Kong de l’âge d’or, tout en évoquant par bien des aspects le cinéma de Bollywood par son rythme et son usage de la musique au fond assez vintage.



Lawrence Valin (à gauche)



C’est à partir de ses courts métrages Little Jaffna (2017) et The Loyal Man (2020) que Lawrence Valin a conçu son premier long dont le scénario a été couronné par la Fondation Gan en 2023. C’est dire combien il a consacré d’efforts à cette entreprise parfaitement atypique dans le cadre du cinéma français traditionnel qui multiplie aujourd’hui ce type d’initiatives en décrivant Paris comme une ville foisonnant de gangs ethniques, à l’image du New York de Martin Scorsese, par exemple. Élevé à l’écart de la communauté tamoule, le réalisateur a perçu en tant que comédien qu’il était systématiquement renvoyé à sa couleur de peau. Il a décidé d’en faire un atout dans ce film où il s’exprime en français et exerce un métier symbolique s’il en est, celui de policier donc de gardien de l’ordre, dans un monde qui en manque singulièrement et alors même qu’il avait pour père un révolutionnaire. Le scénario refuse de se perdre en digressions inutiles pour aller droit au but. Il renoue en cela avec une veine populaire où les paroles comptent moins que les actes, tout en privilégiant systématiquement le jour sur la nuit dans un cadre urbain, cela à l’encontre des codes traditionnels du film noir, mais avec l’ampleur visuelle du scope qui transcende les scènes d’ensemble et le décor urbain. Lawrence Valin prend soin de parer ses personnages secondaires, interprétés pour la plupart par des débutants, de signes de reconnaissance qui leur donnent un supplément d’âme, quelle que soit la durée de leur présence à l’écran. À l’exception notable de l’actrice qui incarne la grand-mère protectrice du héros, Radhika Sarathkumar, et de Vela Ramamoorthy qui campe le parrain, venus d’Inde tout exprès, mais aussi de la correspondante de la DGSI qu’incarne Marilou Aussilloux, aux antipodes de son emploi récent de femme fatale dans La pie voleuse de Robert Guédiguian. C’est toute la magie de ce film surprenant couronné des prix du jury et du public au festival Reims Polar.

Jean-Philippe Guerand






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...