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“Lettres siciliennes” de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza




Iddu Film italien de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (2024), avec Toni Servillo, Elio Germano, Daniela Marra, Barbora Bobulova, Giuseppe Tantillo, Fausto Russo Alexi, Antonia Truppo, Tommaso Ragno, Betti Pedrazzi, Filippo Luna, Rosario Palazzolo, Roberto de Francesco, Vincenzo Ferrera, Maurizio Marchetti… 2h10. Sortie le 16 avril 2025.



Toni Servillo et Elio Germano



Martin Scorsese et Francis Ford Coppola ont a ce point immortalisé la Mafia italo-américaine qu’on en avait plus ou moins perdu de vue les racines du mal et ses ramifications originelles évoquées naguère par Francesco Rosi, Marco Bellocchio, Elio Petri, Damiano Damiani ou Michele Placido. Jonas Carpignano en a récemment montré les résurgences modernes dans une formidable trilogie calabraise composée de Mediterranea (2015), A Ciambra (2017) et A Chiara (2021), tandis que l’écrivain Roberto Saviano (Gomorra) a donné de son côté du grain à moudre au cinéma en dénonçant une corruption endémique et une nouvelle barbarie à visage humain, sous la forme d’une jeune génération sans foi ni loi nourrie aux jeux vidéo et à l’ultra-violence. Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont déjà apporté leur contribution à cette thématique avec Salvo (2013) et Sicilian Ghost Story (2017), les deux premiers pans d’une trilogie que boucle aujourd’hui Lettres siciliennes. Retour aux sources dans une île sous influence dont les caïds semblent bien fatigués au moment où leurs successeurs changent radicalement de méthode, sans le moindre respect pour leur tradition ni même leur code d’honneur. Quitte à devenir des animaux traqués et à renoncer à vivre en société.



Toni Servillo



Au début du troisième millénaire, un politicien emprisonné pour ses collusions avec la Mafia accepte d’aider les services secrets à capturer son filleul en cavale avec qui il renoue de façon épistolaire par des canaux clandestins. Le repenti roublard voit aussi en ce pacte avec le diable une occasion inespérée de redorer son blason personnel en actionnant ses réseaux encore nombreux. Une histoire librement inspirée d’un personnage authentique, le fuyard Matteo Messina Denaro pourchassé pendant trois décennies, dont les protagonistes incarnent deux générations très différentes de mafieux dans un monde immuable où la mondialisation et les nouvelles formes de communication continuent à se heurter au poids de l’omerta traditionnelle. Le film repose sur la simultanéité de ces deux destins et le contraste entre la personnalité pittoresque et perverse du père de substitution qu’incarne Toni Servillo avec sa roublardise coutumière et le fugitif aux abois que campe Elio Germano. Les réalisateurs tirent un habile parti esthétique du cadre naturel de cette histoire baignée d’une étrange mélancolie dont les héros fatigués ne sont plus que l’ombre de la splendeur qu’ils ont perpétuée dans tant de films à leur gloire. Comme si ces Lettres siciliennes sonnaient le glas d’un État dans l’État condamné à mourir avec ses ultimes caïds, sans que leur royaume occulte éprouve le besoin de les trahir ou d’accélérer leur chute.

Jean-Philippe Guerand




Elio Germano

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