Pigen med nålen Film dano-polono-suédois de Magnus von Horn (2024), avec Victoria Carmen Sonne, Trine Dyrholm, Besir Zeciri, Joachim Fjelstrup, Tessa Hoder, Soren Saetter-Lassen, Anna Tulestedt, Ari Alexander, Benedikte Hansen, Magnus von Horn, Jacob Højlev Jørgensen, Lizzielou Corfixen, Ava Knox Martin, Dan Jakobsen, Thomas Kirk, Per Thiim Thim, Peter Secher Schmidt, Agnieszka Przyborowska-Mitosz, Cordelia Majgaard… 2h02. Sortie le 9 avril 2025.
Victoria Carmen Sonne
Voici un bien curieux film. Le premier présenté en compétition au Festival de Cannes 2024 et l’un des derniers à sortir, ce qui est déjà un signe révélateur en soi. L’accueil qui lui a été réservé a en effet été pour le moins contrasté. Il faut dire que le réalisateur suédois installé en Pologne Magnus von Horn n’a pas choisi la facilité pour son troisième long métrage qui est à peu près l’exact opposé du précédent, Sweat (2020), tant sur le fond que sur la forme. Il s’inspire du destin authentique de Dagmar Overbye, une aide-soignante danoise coupable d’avoir assassiné vingt-cinq enfants entre 1913 et 1920, mais condamnée pour seulement neuf d’entre eux, faute de preuves. Une époque que La jeune femme à l’aiguille reconstitue dans un noir et blanc magnifié par le chef opérateur Michal Dymek qui renvoie à ce qui fut l’âge d’or de l’expressionnisme et dont on a pu récemment admirer le travail sur A Real Pain de Jesse Eisenberg. Le film évolue dans une atmosphère poisseuse et délétère et se concentre sur les relations troubles qu’entretient la criminelle avec une femme plus jeune qu’elle engage comme nourrice dans son centre d’adoption clandestine. Un sujet que le réalisateur choisit de traiter en transgressant les codes du conte de fées pour rendre supportable cette histoire monstrueuse qui constitue aussi un tableau de mœurs magistral et renvoie parfois à l’époque médiévale par sa description de la misère endémique. Un cadre glauque dans lequel il n’y a aucune place pour les enfants non désirés et où l’avortement relève encore de la barbarie par les méthodes qu’il implique et notamment la fameuse aiguille du titre qui renvoie à des pratiques d’un autre âge, dans des conditions d’hygiène pour le moins approximatives, sans anesthésie ni produits antiseptiques.
Trine Dyrholm
Par son sujet comme par son traitement, La jeune femme à l’aiguille est un film beaucoup moins aimable qu’admirable. Il est toutefois porté par deux actrices prodigieuses : l’impressionnante Trine Dyrholm, souvent vue chez Thomas Vinterberg, et Victoria Carmen Sonne découverte dans le remarquable Godland de Hlynur Pálmason. Magnus von Horn se concentre sur leurs rapports troubles en entretenant le malaise par sa mise en scène qui accorde une place particulière à ce rituel criminel perpétrée par une femme convaincue de remplir une mission de salubrité publique à une époque où la natalité ne peut qu’accroître la pauvreté sans toutefois compenser en aucun cas les lourdes pertes subies au cours de la Première Guerre mondiale. C’est parce qu’il choisit d’enchâsser son propos dans un cadre formel délibérément ostentatoire et traversé d’éclats oniriques que ce film réussit à rendre palpable cette atmosphère trouble et troublée où les femmes se trouvent encore réduites à un rôle de pondeuses et où le fait que l’une d’entre elles devienne infanticide résonne autant comme un cri de désespoir que de révolte contre l’absurdité de la situation. Et même si ce qu’il raconte s’avère parfois d’une brutalité assumée, La jeune femme à l’aiguille véhicule par sa radicalité un message très fort qui trouve un écho irrésstible dans la société d’aujourd’hui et va bien au-delà des simples composantes de l’affaire criminelle sur laquelle il s’appuie, sans essayer pour autant de trouver des circonstances atténuantes à cette tueuse en série avant la lettre.
Jean-Philippe Guerand
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