Film canado-luxembourgo-français de Jean-Claude Barny (2024), avec Alexandre Bouyer, Déborah François, Stanislas Mehrar, Mehdi Senoussi, Olivier Gourmet, Arthur Dupont, Salomé Partouche, Salem Kali, Sfaya M’barki, Jamel Madani, Nicolas Buchoux, Moncef Ajengui, Khaled Brahmi, Denis Simonetta, Luc Palun, Martial Bezot… 2h13. Sortie le 2 avril 2025.
Mehdi Senoussi, Alexandre Bouyer et Arthur Dupont
De Frantz Fanon on ne connaît guère aujourd’hui que quelques citations en exergue de livres ou de films consacrés au racisme ou à la décolonisation, voire certains de ses écrits considérés comme prophétiques sinon prémonitoires parmi la mouvance tiers-mondiste dont son œuvre fondatrice, “Peau noire, masques blancs”, publiée en 1952. C’est aujourd’hui l’existence même de ce médecin d’origine antillaise affecté en Algérie en 1953 comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida qui fait l’objet d’un biopic. Comme un écho lointain aux multiples incertitudes de notre époque de grande confusion géopolitique. Un destin fauché précocement par la leucémie qui l’a emporté à l’âge de 36 ans. Devenu un symbole post mortem pour ses positions progressistes et sa lutte clandestine, Fanon a donné lieu à plusieurs documentaires depuis une trentaine d’années et est devenu une icône majeure pour de nombreux rappeurs qui se reconnaissent dans son combat étouffé sous l’histoire officielle. Formé aux côtés de Mathieu Kassovitz et de Jacques Audiard, Jean-Claude Barny est en revanche le premier cinéaste à l’évoquer sur le mode de la fiction en se concentrant plus particulièrement sur son travail thérapeutique et son soutien aux clandestins de la lutte armée algérienne. Le résultat évite tous les écueils grâce au parti-pris qui définit le personnage et surtout à l’interprétation saisissante d’Alexandre Bouyer dans le rôle-titre, qui réussit la prouesse d’exister par son seul charisme naturel, mais aussi de Déborah François qui campe son épouse et de Stanislas Mehrar dans le rôle d’un sous-officier français en proie à ses démons. Fanon trouve toujours la juste distance entre son sujet à haute tension et une mise en scène qui revendique son classicisme sans jamais céder pour autant à l’académisme.
Fanon a su se doter des moyens de ses ambitions pour faire sortir de l’ombre ce personnage idéaliste qui a compris ce qui se joue en Algérie et croit en quelque sorte à la convergence des luttes. Né en Martinique en 1925, il a grandi dans un environnement insulaire qui a contribué à sa prise de conscience à un moment clé de l’histoire de la décolonisation. Lui-même d’origine guadeloupéenne mais élevé sur la fameuse dalle d’Argenteuil qui a contribué à sa prise de conscience politique et sociale, le réalisateur de Nèg Maron (2005) opte pour un traitement classique et trouve un interprète idéal en la personne d’Alexandre Bouyer, jusqu’alors inconnu, dont le charisme irradie le film avec une rare intensité. Avec dans le rôle de son épouse la toujours impeccable Déborah François. Un tel sujet pouvait appeler un certain manichéisme auquel Jean-Claude Barny ne cède à aucun moment. Il en donne la preuve à travers le personnage ambigu que campe Stanislas Mehrar : un sergent de l’armée française raciste et violent qui va se retrouver interné pour des troubles psychiatriques majeurs, passant malgré lui du statut de bourreau à celui de cobaye. Le film s’attarde à dessein sur cette période clé de la vie de Fanon avec une fièvre qui est celle d’un homme en sursis mort quelques mois avant les accords d’Évian. Il était plus que jamais nécessaire de rendre à ce militant intègre et visionnaire la place qu’il mérite dans l’histoire douloureuse de la décolonisation. C’est désormais chose faite et très bien faite.
Jean-Philippe Guerand
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