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“Dimanches” de Shokir Kholikov



Yakshanba Film ouzbek de Shokir Kholikov (2023), avec Abdurakhmon Yusufaliyev, Roza Piyazova, Rano Sharipova, Nasrullo Nurov… 1h37. Sortie le 16 avril 2025.



Abdurakhmon Yusufaliyev et Roza Piyazova


Certaines cinématographies se caractérisent par leur petite musique reconnaissable. C’est le cas des films venus de certaines des ex-républiques soviétiques qui déclinent l’humour pince-sans-rire sur un mode impressionniste dont le maître reste le Géorgien Otar Iosseliani qui, même en exil, a continué à creuser son propre sillon. Comme pour dissimuler derrière un paravent de poésie une critique sociale ironique et parfois acerbe d’où émergeaient toujours l’absurdité du monde et le ridicule des puissants. Bien qu’on ne voie aujourd’hui que très peu de films en provenance de ce pays d’Asie centrale, hormis dans quelques festivals internationaux, ils proposent presque toujours un regard faussement détaché sur un monde suspendu. À l’instar de deux de ses plus belles réussites : Luna Papa (1999) et Le costume (2003) de Bakhtiar Khudojnazarov, mort prématurément en 2015 à l’âge de 49 ans. Dimanches en reprend la veine minimaliste dans un contexte rural où le temps semble s’être arrêté, à travers la chronique d’un couple de personnes âgées qui répètent à peu près les mêmes gestes tous les jours dans une indifférence quasi générale. Il faut les observer répéter à l’envi le même cérémonial sans même sembler y prêter attention, la femme filant la laine grâce au concours de son mari qui semble exécuter des gestes mécaniques. Jusqu’au moment où leurs deux fils les exhortent à accepter le progrès avec une intention nettement moins altruiste derrière la tête : raser leur maison pour que l’un d’eux fasse construire à la place… une résidence secondaire.



Abdurakhmon Yusufaliyev



À l’image de son titre qui exprime la répétition inlassable du même cérémonial, Dimanches s’inscrit dans un monde immuable où tout changement est perçu comme une agression. Le style du film a pu être comparé à celui de Yasujiro Ozu et d’Abbas Kiarostami. Il est avant tout détaché de l’espace et du temps. Ses protagonistes répètent inlassablement les mêmes gestes sans en retirer autre chose qu’un très modeste profit. Alors quand ce sont leurs propres enfants qui cherchent à les duper en profitant de leur précarité et de leur grand âge, ils sont loin d’être dupes. Au-delà du simple conflit des générations, il est question ici de l’irruption du matérialisme, à travers des objets qui apparaissent comme autant de signes de richesse ostentatoires, dans un univers qui semble coupé du monde et vit en autarcie, loin du fracas du monde moderne. Ces gens n’ont pas vraiment d’âge. Disons qu’ils sont vieux et entretiennent des relations conjugales à l’ancienne régies par un machisme accepté de part et d’autre. Leur complicité est façonnée de gestes et de postures dont ils n’ont jamais cherché à remettre en cause la légitimité. Avec tout de même une sagesse innée qui leur permet de voir venir la concupiscence de leurs fils, bien qu’ils ne semblent pas chercher à vivre en phase avec leur époque. Mais ils n’ont pas besoin de longs discours pour manifester leurs sentiments. Et ils sont soutenus en cela par la mise en scène impressionniste de Shokir Kholikov, cinéaste trentenaire dont le premier long métrage se situe résolument à contre-courant des préoccupations de sa génération et se positionne à dessein sur le registre intemporel du conte moral, en accordant une place prépondérante au cadre (le décor comme l’image) qui auréole cette fable d’une facture documentaire très travaillée. Chaque détail y sonne juste.

Jean-Philippe Guerand






Roza Piyazova et Abdurakhmon Yusufaliyev

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