Hard Truths Film hispano-britannique de Mike Leigh (2024), avec Marianne Jean-Baptiste, David Webber, Michele Austin, Tuwaine Barrett, Sophia Brown, Jonathan Livingstone, Ani Nelson, Tiwa Lade, Samantha Spiro, Elliot Edusah, Gary Beadle, Chinenye Ezeudu, Ashna Rabheru, Diana Yekinni, Ruby Bentall, Bryony Miller, Donna Banya… 1h37. Sortie le 2 avril 2025.
Marianne Jean-Baptiste
Comment bâtir un film autour d’un personnage foncièrement antipathique ? Rares sont les cinéastes en mesure de résoudre cette équation à haut risque. C’est le cas de Mike Leigh qui s’attache dans son nouvel opus à une mère de famille en colère contre tout le monde : son mari discret et soumis qui travaille comme entrepreneur, son fils en surpoids qui passe son temps reclus dans sa chambre et plus encore sa sœur avec laquelle elle entretient des relations écrasées par trop de non-dits accumulés au fil du temps et une rancœur qui vient de très loin. L’audace de ce film est de nous présenter cette femme au quotidien sans qu’on connaisse la véritable raison de son mal-être et de son agressivité. Son réalisateur finit par nous habituer à son caractère pourtant peu propice à la compassion, comme son entourage s’y est accoutumé et a cessé de se poser des questions sur sa douleur profonde ou d’essayer de remédier à ce qui nous est présenté comme un état de fait avec lequel tout le monde a appris à composer. Le cinéma ne nous a pas habitué à subi une telle situation. Ne serait-ce que parce qu’il repose pour une bonne part sur la capacité que possèdent les spectateurs à se projeter sinon à s’identifier aux personnages qu’ils voient évoluer à l’écran. Le réalisateur britannique a d’ailleurs lui-même joué abondamment de cette caractéristique du cinéma au fil de sa carrière. Il a toutefois décidé d’en prendre ici le contre-pied parce que son sujet l’exigeait.
David Webber, Marianne Jean-Baptiste
et Tuwaine Barrett
On peut légitimement être rebuté par une proposition aussi radicale. Le cinéma s’accommode davantage de l’empathie que du rejet. C’est méconnaître la qualité du regard du réalisateur qui fait appel à l’interprète de la fille en quête de sa mère biologique de Secrets et mensonges (1996), l’impressionnante Marianne Jean-Baptiste, pour tenir un emploi aux antipodes du précédent, où elle n’était que tendresse et bonté, qui donne la pleine mesure de sa capacité à composer. Cette fois, c’est son mal être qui suscite davantage de pitié que de compassion et même bien plus encore. Parce qu’on se dit que si cette femme avait évolué dans un milieu social plus favorisé, face à ce qui apparaît comme une dépression profonde aux origines lointaines, son entourage l’aurait sans doute orientée vers le divan d’un psy. Deux sœurs (dont le titre original signifie littéralement Vérités dures) est une tragédie intime réglée au cordeau où le moindre mouvement de caméra relève de cette fameuse affaire de morale que pointait Jean-Luc Godard. Une leçon de mise en scène orchestrée par un cinéaste parvenu à une maîtrise totale de son art qui est convaincu que toutes les vérités sont bonnes à dire. À commencer par les moins flatteuses. Il faudra que les deux sœurs se retrouvent autour d’une tombe qui catalyse un passé douloureux et des non-dits accumulés pour que les lignes se mettent à bouger et que jaillisse enfin une parole trop longtemps étouffée qui n’a fait que contribuer à cristalliser les malentendus. Un propos universel qui nous place dans une situation telle que la résolution de ce conflit qui n’a fait que s’envenimer va avoir des conséquences sur les autres personnages trop longtemps réduits à l’état de victimes collatérales. C’est du grand art.
Jean-Philippe Guerand
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