Anul Nou Car N-A Fost Film roumain de Bogdan Mureşanu (2024), avec Mihai Calin, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin, Adrian Văncică, Iulian Postelnicu, Andrei Miercure, Luca Toma, Ioana Flora, Vlad Ionut Popescu, Marian Ralea, Angel Popescu, Radu Gabriel, Ion Sapdaru, Gabriel Spahiu, Manuela Harabor, Vasile Muraru, Mircea Lăcătus, Ada Gales… 2h18. Sortie le 30 avril 2025.
En décembre 1989, plusieurs habitants de Bucarest doivent composer avec des conditions de vie plutôt rigoureuses, tandis que des rumeurs insistantes mentionnent l’existence d’une révolte qui aurait été matée dans la violence à Timisoara. C’est dans cette atmosphère délétère et morose à l’approche des fêtes de fin d’année que deux adolescents s’apprêtent à fuir leur pays où ils ne se voient aucun avenir. Une actrice de théâtre est recrutée quant à elle pour chanter les louanges du pouvoir dans une émission de variétés de fin d’année, en lieu et place d’une animatrice partie à l’étranger au lendemain de l’enregistrement qu’il s’agit d’effacer dans un contexte technologique encore basique. Ailleurs, une vieille dame doit se résigner à déménager sous la pression des promoteurs immobiliers pour s’installer dans un appartement impersonnel. Trois histoires parmi une demi-douzaine qui esquissent un tableau moins tendre que cruel de la Roumanie de cette année 1989 au cours de laquelle le Mur de Berlin s’est effondré en entraînant dans sa chute des pans entiers du Rideau de Fer.
Mihai Calin
Derrière son titre ironique, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé dresse l’état des lieux en demi-teintes d’une société qui persiste à s’accrocher à ses rêves dérisoires en demandant l’impossible au Père Noël, à l’image de ce petit garçon qui lui écrit une lettre sans en mesurer toutes les conséquences, sous un régime totalitaire où la suspicion est omniprésente et où la Securitate se charge de surveiller les citoyens afin de débusquer les brebis galeuses. Un thème qui avait d’ailleurs déjà inspiré en 2018 à Bogdan Mureşanu un court métrage couronné d’une trentaine de prix, The Christmas Gift (Cadoul de Craciun). Le réalisateur ne choisit pas pour autant d’en faire aujourd’hui un sketch, mais plutôt l’une des composantes d’un film choral dont il respecte les conventions sans artifices. Il en tire un tableau de mœurs foisonnant de sentiments et de désillusions, toujours avec une primauté accordée aux élans du cœur, sous la surveillance omniprésente du Conducător Nicolae Ceaușescu, au pouvoir depuis alors près d’un quart de siècle. Son souci méticuleux de la reconstitution va jusqu’à retrouver les teintes monotones de cette époque, grâce aux efforts conjugués des chefs opérateurs Boroka Biro et Tudor Platon, couronnés à Venise dans la catégorie des créateurs de moins de 40 ans, des décorateurs Iulia Negoescu et Victor Fukicea et de la costumière Dana Anghel.
Mihai Calin et Nicoleta Hâncu
Ce premier long métrage signé par un jeune quinquagénaire témoigne d’une ambition peu commune, tout en assumant délibérément l’héritage de la nouvelle vague roumaine par son souci de saupoudrer son portrait de groupe d’une bonne dose de poil à gratter, sans jamais verser dans la nostalgie ni la caricature. La tragédie s’y accommode d’un humour qui évoque la comédie à l’italienne, grâce à un casting impeccable et transgénérationnel. Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé perpétue en cela une solide tradition du cinéma roumain qui va de Lucian Pintilié (L’après-midi d’un tortionnaire, 2001) à Cristi Puiu (La mort de Dante Lazarescu, 2005). Derrière l’étude de mœurs se profile une fresque historique où les destins individuels convergent dans un élan collectif, sans que jamais les personnages ne réalisent vraiment qu’ils sont tout simplement en train d’écrire l’histoire de leur pays. La vérité humaine du film doit sans doute aussi beaucoup au fait que son auteur était adolescent lorsque ces événements se sont déroulés et qu’il se garde bien de les passer au crible de la postérité. Son mérite consiste à reproduire l’état d’esprit d’un peuple qui semblait résigné à son sort et qu’un mensonge grossier a conduit à unir ses ultimes forces dans une révolte devenue une révolution express. Le tout au rythme crescendo de ce “Boléro” de Maurice Ravel qui scande la montée progressive de la tension, avec une efficacité déjà éprouvée sur des tonalités différentes dans Elle (1979) de Blake Edwards, Les uns et les autres (1981) de Claude Lelouch et Boléro (2024) d’Anne Fontaine.
Jean-Philippe Guerand
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