Film canado-français de Sophie Deraspe (2024), avec Félix-Antoine Duval, Solène Rigot, Guilaine Londez, Michel Benizri, David Ayala, Véronique Ruggia Saura, Younès Boucif, Bruno Raffaelli… 1h53. Sortie le 9 avril 2025.
Félix-Antoine Duval
Le retour à la terre est un fantasme largement partagé depuis Mai 68. Il a engendré des résultats divers et variés. Ceux qu’on a parfois appelé les néo-ruraux ont engendré une nouvelle génération animée de velléités assez différentes où se mêlent le spectre du réchauffement climatique, un besoin de revenir à des valeurs ancestrales et une nouvelle philosophie existentielle qui passe par des franches ruptures dictées par les aléas de la vie. C’est avec cet état d’esprit que Mathyas débarque du Québec, bien décidé à rompre avec son passé de publicitaire pour s’installer comme berger en Provence. Un choix radical dont il n’a toutefois pas mesuré les astreintes et les sacrifices. En s’attaquant à ce sujet dans l’air du temps évoqué par Mathyas Lefebure dans son récit autobiographique “D’où viens-tu, berger ?” (Actes Sud, 2024), le cinéaste québécoise Sophie Deraspe a décidé d’opter pour une facture à la fois impressionniste et naturaliste. Un choix qui lui permet de porter un regard d’une grande acuité sur ce monde à part où le pouvoir de l’homme s’exerce non pas sur d’autres humains plus ou moins dociles, mais sur des centaines de moutons dont il convient en premier lieu d’organiser les déplacements, en gérant des paramètres qui répondent moins à des règles établies qu’au simple bon sens. Une situation pour le moins déconcertante lorsqu’on doit s’adapter aux lois de la nature après avoir évolué dans un cadre professionnel traditionnel donc agressif. Connue en France pour une transposition moderne vigoureuse d’Antigone (2019), la réalisatrice s’attache à un personnage en quête de rédemption qui intègre un monde inconnu où les actes comptent davantage que les paroles et où il n’a d’autre solution que d’assumer sa condition de pied-tendre en renonçant à toutes ses certitudes citadines.
Félix-Antoine Duval
Ce sujet dans l’air du temps, Sophie Deraspe l’aborde en adoptant le point de vue de son personnage et trouve en Félix-Antoine Duval un interprète d’autant plus convaincant qu’il n’est pas vraiment sympathique, tant il semble bardé de certitudes sinon de préjugés et regarde ce nouveau monde avec les yeux de Candide, qui plus est dans un pays qui n’est pas le sien. Le film n’évite pas toujours les clichés sexistes et racistes à travers des personnages secondaires parfois esquissés sans trop de nuances, mais retrouve son équilibre quand Mathyas rencontre son double féminin en la personne d’Élise, une autre rebelle qu’incarne Solène Rigot. Avec en commun un besoin de trouver sa place dans le monde, même s’il faut pour cela s’en éloigner. Le pastoralisme apparaît ici comme un havre de paix au sein d’un monde sans pitié régi par le matérialisme tout-puissant. L’une des plus belles séquences du film, éclairé par Vincent Gonneville qui magnifie les moindres ressources de la lumière naturelle, est celle au cours de laquelle un immense troupeau croise la route d’automobilistes qui semblent littéralement se noyer parmi les bêtes en transhumance, dans une confrontation inégale qui renvoie à certains westerns par son caractère épique, avec aussi ses chiens et cette menace venu du fond des âges que représentent les loups. Bergers est également la chronique d’une transcendance : celle de deux éclopés de la vie qui vont devoir apprendre à se plier aux lois de la nature pour redonner un juste sens à leur destin.
Jean-Philippe Guerand
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