Soundtrack to a Coup d’État Documentaire belgo-franco-néerlandais de Johan Grimonprez (2023), avec Patrice Lumumba, Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, Abbey Lincoln, Nina Simone, John Coltrane, Duke Ellington, Malcolm X, Miriam Makeba, Nikita Khrouchtchev, Dwight D. Eisenhower, In Koli Jean Bofane, Larry Devlin, Andrée Blouin, Dag Hammarskjöld, Max Roach… 2h30. Mise en ligne sur Arte le 28 février 2025.
Louis Armstrong
Patrice Lumumba doit une bonne part de sa réhabilitation en tant que pilier de la décolonisation du Congo belge et plus généralement de l’Afrique au cinéaste haïtien engagé Raoul Peck qui lui a consacré successivement un documentaire et un film de fiction. Il est aujourd’hui le centre de gravité d’une entreprise cinématographique pour le moins atypique : Bande-son pour un coup d’État. Un film belge nommé à l’Oscar du meilleur documentaire qui revient sur une incroyable barbouzerie de la CIA, lorsque la fameuse agence de renseignements américaine a profité d’une tournée du trompettiste Louis Armstrong sur le continent africain pour en faire le cheval de Troie d’un assassinat politique programmé, celui du leader charismatique de la République démocratique du Congo. Une vaste entreprise de déstabilisation dont Johan Grimonprez remonte toutes les pistes, en l’inscrivant dans le contexte de la Guerre Froide et de l’adhésion à l’ONU des nouveaux états indépendants africains qui menaçaient par leur nombre de sièges recrudescent les grandes puissances, selon la doctrine “un pays = une voix”. Avec aussi et surtout ce pactole inestimable enfoui dans le sous-sol de ces terres, devenu l’enjeu de la fameuse guerre du Katanga pour les grandes puissances et les anciens colonisateurs. Bande-son pour un coup d’État revient sur ces multiples enjeux avec en guise de bande son la contribution des plus grands musiciens et chanteurs de jazz dont les textes apparaissent souvent comme l’expression de leur solidarité avec le continent de leurs ancêtres. Jusqu’à cette intrusion d’Abbey Lincoln et Max Roach au conseil de sécurité de l’ONU pour protester contre l’assassinat de Lumumba.
Nikita Khrouchtchev et Dwight D. Eisenhower
La construction même de ce film apparaît comme un tour de force tant il entremêle de thématiques différentes et creuse de pistes aussi bien artistiques que géopolitiques. Au point de brasser des thèmes multiples et de mettre en évidence à la fois leur simultanéité et leurs interactions, notamment en soulignant combien la lutte pour les droits civiques a pu résonner en écho de la décolonisation, à une époque où la Chine et l’URSS tentaient déjà de ses substituer aux puissances européennes en déroute. Le seul défaut du film, mais il est minime autant que paradoxal, réside sans doute dans son trop-plein pourtant exprimé à travers une profusion de documents souvent rares qui témoignent d’un effort de recherche et de documentation considérable en amont. Sur le plan formel, l’abondance de citations à l’écran apparaît parfois difficilement lisible et provoque un afflux d’informations qui nécessiterait de procéder à des arrêts sur image pour avoir le temps de les lire. Une manipulation artificielle que rend possible l’usage de la VOD. Ce documentaire polyphonique est aussi une sorte d’apothéose du parti que le syncrétisme peut tirer du cinéma en exploitant ses multiples composantes. Il s’appuie en l’occurrence sur divers témoignages dont la moindre n’est pas les souvenirs audio de Nikita Khrouchtchev. Avec cette association à l’écran de la chaussure dont le dirigeant soviétique s’est emparé pour marteler la tribune de l’assemblée générale des Nations Unies et d’un prodigieux solo de batterie en écho. L’inventivité du film se manifeste à ce genre de correspondances, en soulignant à quel point la communauté du jazz s’est engagée en soutien à ses frères et sœurs de couleur et contre une ségrégation largement mondialisée dont les victimes ne sont jamais parvenues à se solidariser de manière efficace contre leurs oppresseurs.
Jean-Philippe Guerand
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