Kein Tier. So Wild. Film germano-franco-polonais de Burhan Qurbani (2025), avec Kenda Hmeidan, Verena Altenberger, Mona Zarreh Hoshyari Khah, Mehdi Nebbou, Hiam Abbass, Samir Fuchs, Phileas Heyblom, Ibrahim Al-Kalil, Deniz Arora, Hassan Akkouch, Meriam Abbas, Banafshe Hourmazdi, Camill Jammal, Enno Trebs, Theo Trebs… 2h22. Sortie le 26 mars 2025.
William Shakespeare est décidément le plus grand scénariste du monde. Non seulement le cinéma a porté à l’écran l’intégralité de son théâtre ou presque, mais certaines de ses pièces ont donné lieu aux adaptations les plus audacieuses. C’est notamment le cas de “Richard III” qui reste un modèle de tragédie à toute épreuve dont on ne compte plus les versions, d’ailleurs assez souvent réussies, tant son propos reste universel et intemporel. C’est sur cette pièce que s’appuie le réalisateur allemand Burhan Qurbani dans son nouveau film, en transposant son intrigue parmi la pègre berlinoise secouée par une guerre des gangs entre les familles York et Lancaster. Il avait déjà procédé de la sorte dans une version de Berlin Alexanderplatz (2020) déjà plutôt fracassante. Il y a dans No Beast. So Fierce. un côté clinquant qui évoque le fameux Romeo + Juliet (1996) de Baz Luhrmann et un naturalisme qui renvoie au théâtre de Bertold Brecht à travers sa peinture de ces bas-fonds en proie à de féroces luttes intestines où l’honneur fait figure de vertu cardinale. Qurbani brode à partir de ce canevas et en extrait des personnages forts et charismatiques, parfois en proie à des situations qui les dépassent et les poussent à se révéler tels qu’en eux-mêmes. Avec aussi une licence poétique qui fait toute la différence : Richard III devient Rashida, une femme de pouvoir dans un monde où les hommes sont cantonnés à des fonctions purement viriles sinon virilistes. Avec toutes les résonances qu’implique un tel postulat dans la société contemporaine.
Selon Burhan Qurbani, “ la réécriture d’un classique permet de jouer avec les points de vue en les opposant de manière différente ”. Il le démontre brillamment à travers cette adaptation qui, aussi libre soit-elle, repose toutefois sur des fondations solides. Avec en contrepoint la personnalité spécifique de cette femme de pouvoir hantée par le bruit et la fureur qui la hantent. La réussite de No Beast. So Fierce. repose pour une bonne part sur l’équilibre parfait de son casting composé pour une bonne part de comédiens peu ou pas connus, en tout cas au cinéma, dont les actrices Kenda Hmeidan et Mona Zarreh Hoshyari Khah qui affichent deux visages prometteurs de la diversité dans les rôles écrasants de Rashida York et Ghanima Lancaster. Avec à leurs côté ces interprètes plus chevronnés que sont Verena Altenberger (une blonde parmi des brunes), Hiam Abbass et Mehdi Nebbou. En termes de mise en scène, Qurbani accorde une importance particulière aux éléments et notamment à cette minéralité brute qui fascinait tant la chorégraphe Pina Bausch par le contact charnel qu’elle entretenait avec les corps. Au point que le décor s’épure jusqu’à devenir peu à peu un cadre nu qui renvoie aux premiers temps de l’humanité par son abstraction déconnectée du contexte urbain dans lequel s’inscrit cette histoire éternelle, tout en nous donnant le sentiment de nous retrouver confronté à la scène d’un théâtre qui s’assume en tant que telle. Or, c’est la sauvagerie de ce film qui fait sa singularité.
Jean-Philippe Guerand
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