Film américain de Bong Joon-ho (2024), avec Robert Pattinson, Naomie Ackie, Steven Yeun, Toni Collette, Mark Ruffalo, Dooho Choi, Anamaria Vartolomei, Daniel Henshall, Chelsea Li, Stuart Whelan, Spike White, Liam Edwards, Cameron Britton, Ian Hanmore, Ellen Robertson, Edward Davis, Steve Park, Anna Mouglalis (voix)… 2h17. Sortie le 5 mars 2025.
Robert Pattinson et Robert Pattinson
Avec Parasite (2019), le cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho a connu la consécration dont rêvent la plupart de ses pairs : plus de trois cents récompenses internationales dont une Palme d’or à Cannes et quatre Oscar à titre personnel -meilleur film et meilleur film international (doublé inédit), meilleur réalisateur et meilleur scénario original, un quarté gagnant que seul Walt Disney avait réussi… en 1954 !- pour un jeu de massacre autour du concept de la famille traditionnelle. Cinq ans de réflexion plus tard, il est de retour avec un film de science-fiction tout aussi déroutant… du moins pour ceux qui ne sont pas familiers de son œuvre dans sa globalité. Inspiré d’un roman d’Edward Ashton (intitulé… “Mickey 7” !), cette fable d’anticipation s’inscrit en effet dans la continuité plutôt logique de The Host (2006), Snowpiercer : Le Transperceneige (2013) et Okja (2017). Dans un futur proche, une photocopieuse 3D ultra-sophistiquée permet aux humains de se régénérer à l’infini et instantanément. Une aubaine pour le régime qui dispose ainsi d’une infinité d’esclaves corvéables à merci qu’il peut exposer impunément à tous les dangers sans craindre de se priver de leurs services. C’est le cas de Mickey, un brave type qui en est déjà à son dix-septième avatar, mais ne maîtrise pas grand-chose de son destin sans cesse interrompu d’employé jetable chargé de coloniser une planète prise sous les glaces. Laissé pour mort, il est remplacé par sa dix-huitième version qui va devoir cohabiter avec la précédente… pas encore hors d’usage. Ce jeu ambitieux autour de la notion de double et de gémellité contraintepermet au metteur en scène de faire assaut de virtuosité en se livrant à une réflexion sur les avantages et les inconvénients de la vie éternelle qui passe par une débauche spectaculaire de moyens associée à un humour volontiers corrosif, mais parfois déconcertant pour des spectateurs occidentaux rompus à davantage de retenue.
Mickey 17 n’est que le huitième long métrage de Bong Joon-ho en un quart de siècle. On y retrouve sa vision désabusée d’un futur toujours prêt à disjoncter lorsque le pouvoir aboutit entre les mains de dirigeants irresponsables et mégalomanes. Comme si un écrivain fou avait décliné le concept d’Un jour sans fin (1993) dans l’univers de Total Recall (1990). Robert Pattinson y incarne ainsi ce personnage condamné à renaître de lui-même jusqu’à la fin des temps, avec cette variable qui ne lui garantit pas de retrouver ses souvenirs intacts à chaque régénération. Comme il est d’usage dans la science-fiction moderne, le film propose aussi une réflexion sur le pouvoir qui renvoie en écho à des problématiques très actuelles. C’est d’ailleurs sans doute là la limite de cet exercice dans lequel le couple de dirigeants est campé par deux interprètes dont les performances sont pour le moins dissonantes. Autant l’Australienne Toni Collette excelle dans la démesure, aux antipodes de sa composition récente dans Juré n°2, autant l’Américain Mark Ruffalo se complaît dans l’excès à grands renforts de rictus et de ricanements, avec une absence de nuances horripilante. L’explication vient peut-être du fossé culturel qui sépare la tradition dramatique américaine marquée par l’Actor’s Studio et la conception asiatique plus propice aux excès et à l’extraversion dont Takeshi Kitano reste une référence en qualité d’humoriste à la télévision japonaise. Dès lors, l’association d’interprètes issus de ces deux univers produit des effets parfois saugrenus et a minima un décalage entre eux quand ils ne sont pas accoutumés aux us des uns et des autres pour avoir déjà tourné ensemble. Les consignes de Bong Joon-ho en tant que directeur d’acteurs sont sans doute pour beaucoup dans cette sensation déconcertante pour nos regards d’Occidentaux. C’est là que se situe la limite de cette entreprise ambitieuse qui n’avait aucun besoin de parer de grotesque cette parabole sur la folie du pouvoir. Le fossé culturel est cette fois un piège où le ridicule tue.
Jean-Philippe Guerand
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