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“Lire Lolita à Téhéran” d’Eran Riklis



Reading Lolita in Tehran Film italo-israélien d’Eran Riklis (2024), avec Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani, Bahar Beihaghi, Isabella Nefar, Lara Wolf, Arash Marandi, Shahbaz Noshir, Catayoune Ahmadi, Reza Diako, Ash Goldeh, Sia Parvaneh, Arash Ashtiani… 1h47. Sortie le 26 mars 2025.



Golshifteh Farahani



Il y a des projets qui forcent le respect par leur volonté d’universalisme. À l’instar de “Jamais sans ma fille” de Betty Mahmoody (Robert Laffont, 1987), “Lire Lolita à Téhéran” d’Azar Nafisi (Plon, 2004) a d’abord été un best-seller planétaire traduit dans une trentaine de langues qui a cristallisé les fantasmes des Occidentaux sur la République islamique d’Iran et sa détermination à reformater idéologiquement et intellectuellement son peuple en faisant table rase des acquis antérieurs. Le point de vue est celui d’une exilée qui retourne à Téhéran au lendemain de la révolution afin d’y enseigner la littérature à des étudiants, tandis que le régime de plus en plus autoritaire entend régenter les lectures de son peuple dans un esprit qui évoque autant les autodafés perpétrés par les Nazis que l’atmosphère délétère de Fahrenheit 451 de George Orwell. Assoiffés. Expulsée de l’université de Téhéran pour avoir refusé de porter le voile, elle continue à enseigner chez elle et contribue à sensibiliser ses élèves aux vertus conjuguées des beaux textes et du féminisme. C’est cette histoire autobiographique que met en scène aujourd’hui le réalisateur israélien Eran Riklis dont l’œuvre accorde une large place à l’humanisme, des Citronniers (2008) à Mon fils (2014), même s’il s’est tourné plus récemment vers le cinéma d’espionnage. Il réunit à cette occasion les trois comédiennes iraniennes en exil les plus célèbres : Golshifteh Farahani, la première actrice iranienne à avoir percé à Hollywood depuis la révolution, Zar Amir Ebrahimi, prix d’interprétation à Cannes en 2022 pour Les nuits de Mashhad, et Mina Kavani dont la carrière a décollé la même année avec Aucun ours de Jafar Panahi.



Zar Amir Ebrahimi



Lire Lolita à Téhéran est évidemment porteur d’un message fort qui érige la littérature au statut d’arme de dissuasion massive et repose pour une bonne part sur la capacité des textes à changer le monde. Ce propos honorable sinon vertueux est servi par un discours important sur l’importance de la transmission qui montre à quel point la littérature constitue l’antidote le plus radical contre le totalitarisme et la censure. Un discours qui pourra sans doute paraître bien naïf aux yeux des plus instruits, mais qui revêt une importance capitale à un moment de l’histoire où l’obscurantisme rejaillit de toutes parts et où les réseaux sociaux servent à propager des fake news qui nourrissent elle-même la montée en puissance de ces poisons que constituent le complotisme, le révisionnisme et autres joyeux courants de pensée alternatifs. Eran Riklis manifeste notamment son talent à travers sa direction d’acteurs et surtout d’actrices, le film passant des amphithéâtres universitaires à l’appartement plus exigu de l’enseignante dépeint comme un modeste havre de paix où subsiste une lueur d’espoir partagée. Avec comme perspective pour ces résistantes armées de leur esprit que leur cercle s’agrandisse et qu’une nouvelle génération s’empare à son tour de leur combat. Vœu pieux mais nécessaire qui confère à cette chronique de Téhéran une puissance revigorante, même si elle se situe sur le plan purement cinématographique aux antipodes de ces films “de l’intérieur” que tournent depuis des années avec autant de conscience que d’acharnement Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof ou Saeed Roustaee. Souvent au risque de tout perdre, mais pour prendre le reste du monde à témoin de la tragédie qui se joue quotidiennement sous le régime des Mollahs.

Jean-Philippe Guerand



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