Docu-fiction française de Zabou Breitman et Florent Vassault (2024), avec Isabelle Nanty, François Berléand, Damien Sobieraff, Nicolas Avinée, Florence Muller, Jean-Paul Bordes, Sarah Thiery… 1h37. Sortie le 26 mars 2025.
Isabelle Nanty, Damien Sobieraff et François Berléand
Le cinéma du réel constitue aujourd’hui un enjeu fondamental pour les créateurs toujours à l’affût de nouvelles formes pour aborder des champs d’investigation encore inexplorés en s’en donnant les moyens les mieux adaptés. Au départ du Garçon, il y a la découverte d’un album photo dans une brocante et toutes les histoires mystérieuses dont il témoigne par fragments à travers des clichés souvent anodins, parfois plus énigmatiques. C’est à partir de ces images d’inconnus dans des situations banales et de ces visages anonymes arrachés au passé qu’est né ce film à deux voix. Les réalisateurs ont décidé d’emblée de se partager les tâches. Florent Vassault a mené l’enquête pour essayer de décrypter ces photos, d’abord à partir des lieux qui y sont représentés, ensuite en essayant d’identifier certaines des personnes qui y figurent, en se rendant sur place et en questionnant ceux qui y vivent aujourd’hui. De son côté, Zabou Breitman s’est chargée d’imaginer dans quel contexte ont été réalisés certains de ces clichés destinés à rester dans le cercle familial et qui donc pouvait se dissimuler derrière ces visages récurrents. Des saynètes de fiction sont nées qui reproduisent méthodiquement décors et cadrages en chargeant des comédiens de s’emparer de ces personnages dont la psychologie restait à inventer, même par bribes éparses. Au milieu de ce puzzle, il y a un quidam d’une banalité absolue qui semble avoir essayé toute sa vie de se fondre dans la foule et des personnes de son entourage qui portent parfois leur personnalité sur leur visage. Le film va consister à essayer de comprendre qui sont ces gens d’une banalité telle que certains témoins les ont paradoxalement remarqués pour cette caractéristique, à commencer par notre héros malgré lui.
Le rôle de Zabou consiste à humaniser ces gens avec l’aide d’interprètes aussi familiers qu’Isabelle Nanty et François Berléand. Celui de son compère relève davantage de l’enquête policière. Il s’inscrit dans la lignée du travail effectué par le documentariste trop méconnu Henri-François Imbert qui s’est fait remarquer à travers une série de films fondés sur ce principe qui consiste à aller au-delà des images pour percer leurs secrets cachés, de Sur la plage de Belfast (1996) à No pasaràn, album souvenir (2003). Reste que quand se lance dans ce genre d’entreprise, c’est sans pouvoir présumer de son aboutissement. C’est compter sans la ténacité des réalisateurs qui vont aller sans doute plus loin qu’ils ne l’avaient escompté et dresser à travers le portrait de ce Garçon solitaire et plutôt effacé (et pour cause !) celui d’une société française rongée par des préjugés et un ordre moral d’un autre âge. Ce film trouve un équilibre miraculeux entre son fond et sa forme. Les protagonistes qu’humanise Zabou Breitman sans savoir vraiment grand-chose d’eux se dévoilent peu à peu et le film réussit la prouesse d’enchaîner des révélations successives qui modifient en permanence le point de vue du spectateur sur ce passe-muraille et nous donnent peu à peu l’impression enivrante de découvrir des secrets de famille enchâssés les uns dans les autres dont le poids à fini par peser trop lourd sur les épaules du personnage principal qui l’a payé au prix fort. Voici un film qui nous invite à faire fi des préjugés en nous invitant à la tolérance et nous laisse une grosse boule en travers de la gorge. C’est très rare.
Jean-Philippe Guerand
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