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“La convocation” de Halfdan Ullmann Tøndel



Armand Film norvégo-hollando-suédo-allemand de Halfdan Ullmann Tøndel (2024), avec Renate Reinsve, Ellen Dorrit Petersen, Endre Hellestveit, Thea Lambrechts Vaulen, Øystein Røger, Vera Veljović, Assad Siddique, Patrice Demonière… 1h57. Sortie le 12 mars 2025.



Renate Reinsve



Tous les parents d’élèves ont vécu un jour ou l’autre ce moment de grande solitude où ils se trouvent confrontés à la vie cachée de leurs enfants, celle qui se déroule dans un espace dépourvu d’adultes, entre salles de classe et cour de récréation. Pour son premier long métrage auquel il a consacré beaucoup d’efforts depuis 2016, le petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullmann s’attache à un sujet qui défraie régulièrement l’actualité : le harcèlement scolaire. Il opte à cet effet pour un dispositif radical qui sert l’efficacité de son propos : un groupe de gens rassemblés dans un lieu clos pour tenter de résoudre un conflit. Un postulat minimaliste pour un film qui réussit la prouesse de surprendre en permanence en maintenant un degré de tension qui ne cesse de s’accroître, au fil des prises de parole et des échanges. Lauréat de la Caméra d’or à Cannes, ce huis clos s’appuie sur une utilisation remarquable de l’espace pour disséquer les conséquences d’un incident qui va faire basculer les certitudes des adultes à partir de la parole des enfants, sans toujours prendre en considération leur capacité à imaginer voire à fantasmer. Le film s’aventure en fait dans une zone de non-dits où il est périlleux pour les adultes d’appliquer leur propre grille de lecture aux comportements de leurs enfants, sans que quiconque sache vraiment où placer le curseur entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans le domaine ô combien délicat de la sexualité. Un simple incident prend ici des proportions démesurées en raison des réactions qu’il suscite chez les parents de deux élèves incriminés. Un propos qui fait d’ailleurs écho à celui d’un autre film issu quant à lui d’une toute autre civilisation, L’innocence (2023) du Japonais Hirokazu Kore-eda, d’ailleurs couronné du prix du scénario à Cannes, qui tournait déjà autour de la sacro-sainte parole des enfants.



Renate Reinsve


La convocation confronte aussi de simples parents d’élèves à des représentants de l’administration scolaire qui refusent de s’impliquer pour ne pas être considérés comme responsables de ces vérités et mensonges à haut risque. Jusqu’au moment où le strict réalisme est brisé par une première ponctuation chorégraphique qui reflète l’évolution mentale des protagonistes et ouvre la voie à un traitement plus onirique. On a compris que désormais tout peut arriver avec au centre de ce ballet la tornade rousse qu’incarne Renate Reinsve (primée à Cannes en 2021 pour le rôle-titre de Julie en 12 chapitres de Joachim Trier) dont la première apparition constitue un grand moment de cinéma. Halfdan Ullmann Tøndel traite cette femme inaccessible comme un lumineux objet du désir vers lequel se tournent les regards et se tendent des mains qui veulent la toucher dans un mouvement d’une ambiguïté étudiée. Avec aussi une crise de fou rire comme on n’en a sans doute jamais vue à l’écran, tant elle dure et provoque des réactions multiples et contradictoires en instaurant un malaise indicible et irrépressible. C’est tout le talent du metteur en scène que de jouer avec les spectateurs autant qu’avec ses personnages, jusqu’à nous expulser de notre zone de confort et nous confronter à notre inconscient d’une façon impitoyable mais toujours calculée. Ce film constitue en cela une expérience sensorielle véritablement hors du commun et laisse augurer d’un avenir prometteur pour cet auteur qui assume son patronyme écrasant et s’en montre digne. Bon sang ne saurait mentir.

Jean-Philippe Guerand






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