Film helvéto-luxembourgo-français de Lionel Baier (2025), avec Dominique Reymond, Michel Blanc, William Lebghil, Aurélien Gabrielli, Liliane Rovère, Ethan Chimienti, Larisa Faber, Adrien Barazzone, Gilles Privat, Louise Chevillotte… 1h30. Sortie le 19 mars 2025.
Belle initiative que de porter à l’écran le premier récit autobiographique de Christophe Boltanski, lauréat du prix Femina 2015, qui évoque notamment Mai 68 du point de vue d’une tribu arborant tous les stigmates des fameux bourgeois bohèmes, si l’expression ne paraissait pas anachronique en ce printemps de révolte où la jeunesse sort dans la rue pour manifester l’ennui que suscite chez elle le fameux miracle économique de ce qu’on n’appelle pas encore les Trente Glorieuses, avec son retard dans le domaine des mœurs et son cortège d’interdictions et de frustrations. À l’image de son titre, La cache est la chronique d’une famille juive d’origine russe installée dans un hôtel particulier des quartiers chics que sa force de résilience incite à opposer à la fronde qui gronde sous ses fenêtres un repli sur soi qui a fait ses preuves pendant l’Occupation en sauvant la peau d’une partie de ses membres mais en léguant un lourd traumatisme aux générations suivantes. En s’emparant de ce sujet (dont il n'adapte en fait qu'un fragment littéraire) qui s’inspire du fameux épuisement d’un lieu expérimenté par Georges Perec dans son livre La vie mode d’emploi, le réalisateur suisse Lionel Baier est sorti clairement de sa zone de confort pour signer ce qui constitue sa première adaptation après des œuvres aussi personnelles que Comme des voleurs (à l’est) (2008), Les grandes ondes (à l’ouest) (2013) et La dérive des continents (au sud) (2022). On y retrouve toutefois cette fantaisie qu’il affectionne.
William Lebghil, Michel Blanc, Dominique Reymond,
Ethan Chimienti et Aurélien Gabrielli
La cache est la chronique chorale d’une famille incapable de se disperser qui vit dans la mémoire de la Shoah dans cet appartement resté dans son jus où elle est clairement considérée comme indésirable par ses voisins réactionnaires, xénophobes et probablement aussi antisémites. Derrière la figure tutélaire de la survivante qu’incarne Liliane Rovère, décidément prédisposée aux rôles d’aïeules à accent, la génération suivante est incarnée par le couple pittoresque que forment Dominique Reymond et le regretté Michel Blanc (auquel est dédié le film), suivis de William Lebghil et Aurélien Gabrielli incarnant la troisième génération. Le tout sous le signe d’un humour qui est plus que jamais la politesse du désespoir, pour reprendre la fameuse formule de Chris Marker si volontiers attribuée à d’autres. Lionel Baier transcende les conventions de la chronique familiale en huis clos pour évoquer un traumatisme qui a traversé les générations, avec cette hantise irrationnelle que ça recommence. Jusqu’à cette scène cathartique où l’ermite campé par Michel Blanc décide d’affronter la réalité et emmène son petit-fils jusqu’au pied du Rideau de Fer, comme pour exorciser cette hantise épidermique qui les empêche de sortir de leur cache depuis un quart de siècle et d’affronter la réalité de leur époque, sinon à l'occasion de quelques virées superbes dans des cercles intellectuels et culturels choisis. Parce que ces Boltanski, Christian deviendra une figure majeure de l’art contemporain et plus tard Christophe l’écrivain qu’on connaît. Avec cette apparition saugrenue du Général de Gaulle (campé par l’irrésistible Gilles Privat), au moment précis où la chienlit est en train de l’éjecter de son trône républicain. Il émane toutefois de cette parabole subtile et chaleureuse une réflexion passionnante sur le poids de la mémoire et les ravages qu’elle est susceptible de provoquer. C’est même là que se situe l’enjeu de ce film tendre, drôle, élégant, mais jamais funèbre.
Jean-Philippe Guerand
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