Accéder au contenu principal

“Dans la cuisine des Nguyen” de Stéphane Ly-Cuong





Film français de Stéphane Ly-Cuong (2024), avec Clotilde Chevalier, Camille Japy, Leanna Chea, Linh-Dan Pham, Anh Tran-Nghia, Marie-Thérèse Priou, Thomas Jolly, Gaël Kamilindi… 1h39. Sortie le 5 mars 2025.



Clotilde Chevalier (au centre)



La comédie musicale est un genre qui pâtit paradoxalement en France d’une figure tutélaire exclusive et écrasante : Jacques Demy. Cet homme qui voyait la vie en rose et bleu s’est imposé comme une référence incontournable, y compris auprès d’auteurs aussi singuliers qu’Olivier Ducastel et Pascal Martineau dans Jeanne et le garçon formidable (1998) qui se sont réclamés de son influence artistique. Récemment, Tralala des frères Larrieu et Joli joli de Diastème ont démontré les limites d’une adulation quand elle est unique. Il n’en est pas de même avec le premier film de Stéphane Ly-Cuong, Dans la cuisine des Nguyen, qui assume les contraintes du genre pour mieux les transgresser en leur accolant une quête identitaire prononcée. L’argument est celui de beaucoup de comédies musicales : une jeune fille qui rêve d’une vie en musique en-chantée et d’entrechats harmonieux se bat pour aller au bout de son rêve et échapper à la malédiction familiale qui la destine à reprendre les rênes d’un restaurant vietnamien considéré comme une institution parmi la communauté asiatique avide des bons plats de sa mère. Un parcours d’autant plus ardu que notre jeune première ne possède pas nécessairement le physique de l’emploi, mais compense sa (légère) surcharge pondérale par sa bonne humeur associée à une passion à toute épreuve et à une parfaite connaissance de la comédie musicale hollywoodienne et de ses morceaux de bravoure les plus mémorables.



Clotilde Chevalier



Dans la cuisine des Nguyen est conçu à la manière d’une recette dont les ingrédients sont familiers mais dont l’alchimie mystérieuse engendre une explosion inattendue de goûts et de saveurs. Notre guide à travers ces aventures se prénomme Yvonne. Elle doit combattre sur deux fronts : celui d’une mère et de ses copines qui ne la voient qu’à la tête du restaurant et celui de ses camarades qui soutiennent sa croisade pour s’affranchir de la tradition en développant ses propres compétences artistiques. Avec pour armes principales une parfaite connaissance du répertoire associée à un enthousiasme à toute épreuve. La construction même du film est celle de la plupart des comédies musicales qui progresse au rythme des différentes étapes vers la reconnaissance et l’aboutissement d’un rêve. À une nuance près qu’il est hors de question de dévoiler ici sous peine de nuire aux plaisirs que distille ce film avec un raffinement étudié. Son scénario est semblable à une recette qui s’élabore sous nos yeux et repose sur la combinaison de ses ingrédients. En l’occurrence, ici, son interprète principale qui ne cadre pas avec les standards habituels et propose une alternative enthousiasmante aux jeunes premières embarquées dans ce genre de parcours fléchés, bien qu’elle en traverse les épreuves et manifeste une énergie à toute épreuve. Critique de comédies musicales passé à l’acte après un détour par l’atelier scénario de la Fémis, divers ateliers d’écriture et une contribution déterminante au script du très beau Hiver à Sokcho de Koya Kamura, Stéphane Ly-Cuong a le bon goût d’évacuer les idées reçues, tout en s’accrochant à son rêve avec la complicité de son interprète-fétiche, Clotilde Chevalier. Une double révélation sous le signe de la joie qui donne des fourmis dans les jambes.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...