Accéder au contenu principal

“Anna” de Marco Amenta



Film italo-français de Marco Amenta (2023), avec Rose Aste, Daniele Monachella, Marco Zucca, Daniela Vitellaro, Giuseppe Boy, Ignazio Gavino Chessa, Salvatore Crisponi, Francesco Falchetto, Andrea Melis… 1h58. Sortie le 5 mars 2025.



Daniela Vitellaro et Rose Aste



Le phénomène est peut-être passé inaperçu, mais la cinquantième Nuit des César a aussi couronné le retour à la terre du cinéma français à travers les deux statuettes décernées à Vingt dieux de Louise Courvoisier dont celle du meilleur espoir féminin attribué à Maïwène Barthelemy, une agricultrice recrutée dans son lycée professionnel de Vesoul, et celle du meilleur documentaire à Gilles Perret pour La ferme des Bertrand. Cette saison, la mode est plus précisément aux bergers. Après Le Mohican de Frédéric Farrucci dans lequel un gardien de troupeau corse menacé par de redoutables promoteurs immobiliers prenait le maquis, on verra Bergers de la Québécoise Sophie Deraspe le 9 avril et Le clan des bêtes de l’Irlandais Christopher Andrews le 23 avril. Entre-temps, dans Anna de l’Italien Marco Amenta, c’est au tour d’une éleveuse de chèvres du fin fond de la Sardaigne de voir débarquer sur sa propriété des entrepreneurs bien déterminés à profiter de la beauté du site pour y édifier un complexe touristique. L’éternelle lutte du pot de terre contre le pot de fer oppose cette fois deux camps très inégaux : d’un côté, la fille du pays farouche et asociale, de l’autre, les villageois qui accueillent ce projet pharaonique comme une opportunité de profit inespérée. Cette belle mécanique enclenchée, le film évite les pièges du manichéisme en adoptant le point de vue de cette jeune femme qui perpétue une tradition sans en tirer davantage que son pain quotidien, mais n’entend pas qu’on vienne gâcher le panorama qu’ont contemplé ses aïeux pendant des générations. Elle entretient en outre avec ses chèvres un rapport maternel qui passe par les plus délicates des attentions et des soins incessants. Avec cette existence de solitude qui l’incite à satisfaire ses pulsions naturelles sans s’embarrasser de salamalecs inutiles, ni succomber à ces diktats féministes dont elle ignore sans doute tout, du fin fond de sa lande isolée du monde.



Rose Aste



Anna se présente comme un choc des cultures dans lequel la paysannerie chère à Marcel Pagnol rencontrerait les affairistes si souvent attaqués par Francesco Rosi. Venu du photo-reportage, le réalisateur Marco Amenta poursuit là un combat contre la Mafia entrepris dès ses premiers documentaires, puis décliné sur le registre de la fiction avec La Sicilienne (2007). Au point de se voir menacé et même assigné en justice à seul but de l’intimider et de l’inciter à aborder des thématiques moins polémiques, alors même que la ville de Palerme lui décernait sa médaille de la valeur civile pour son combat valeureux contre l’omerta, cette loi du silence qui transforme certains lieux isolés en forteresses cachées et fragilise les individus par rapport à leur communauté. Anna est indissociable de l’interprète de son rôle-titre, Rose Aste, trentenaire seule contre tous, mais capable de s’enivrer des plaisirs de son âge en se défoulant en boîte de nuit ou en se baignant nue, malgré son métier contraignant dont elle assume les servitudes. Avec à ses côtés cet avocat idéaliste qui la défend et dont elle fait son amant, tant il tranche par sa délicatesse avec la définition du fameux mâle alpha et assume sa fascination pour cette femme cramponnée à ses convictions. Seule contre tous… ou presque.

Jean-Philippe Guerand






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...