Aicha Film franco-tuniso-italienne de Mehdi M. Barsaoui (2024), avec Fatma Sfar, Yassmine Dimassi, Nidhal Saadi, Hela Ayed, Mohamed Ali Ben Jemas, Ala Benhamad, Sawssen Maalej… 2h03. Sortie le 19 mars 2025.
L’intrigue de ce film est de celles qu’aurait pu traiter en son temps le fameux tandem Boileau-Narcejac dont les romans policiers ont inspiré des cinéastes tels qu’Henri-Georges Clouzot et Alfred Hitchcock. C’est l’histoire d’une jeune femme de chambre employée dans un hôtel perdu au fond du bled qui est portée disparue dans un accident de la route survenu dans une zone du Sud tunisien située hors de portée des sauveteurs dépêchés sur place. Une occasion inespérée que saisit cette miraculée afin de profiter de cette tragédie pour modifier le cours de sa vie sous une nouvelle identité, loin de ses parents chez qui elle s’étiolait. On efface tout et on recommence… Tel est le point de départ de ce drame psychologique porté par son interprète principale, Fatma Sfar, qui confère à son personnage d’Aïcha (pseudonyme qui signifie symboliquement… “vérité” en arabe) un mélange convaincant de candeur et de détermination. Avec en filigrane une réflexion existentielle abyssale qui plane comme une ombre menaçante sur l’existence de cette survivante hantée par son mensonge comme le héros de “Crime et châtiment” écrasé sous le poids de sa faute. Avec ici ce minuscule caillou qui va enrayer les rouages de cette belle mécanique et la contraindre à affronter son passé pour continuer à aller de l’avant. Une variation très libre à partir d’un fait divers rocambolesque survenu en Tunisie en 2019 à l’occasion duquel une jeune femme avait cherché à mettre à l’épreuve l’amour de ses parents.
Fatma Sfar
Aïcha est une réflexion intense sur l’identité et le destin qui offre à son héroïne une seconde chance, avec tout ce que cela suppose de contraintes et de mensonges. Un thème récurrent qui affleurait déjà du premier long métrage du cinéaste tunisien Mehdi M. Barsaoui, Un fils (2019), dans lequel un petit garçon en attente d’une greffe découvrait que son père biologique n’était pas celui qu’il croyait. La vérité constitue donc une quête existentielle fondamentale pour ce réalisateur qui n’hésite pas à concilier cette problématique fondamentale avec les codes du cinéma de genre le plus romanesque. Il s’en remet en outre ici à une interprète qui endosse à la perfection la personnalité complexe de son personnage, tiraillée entre son passé et cette nouvelle vie qui s’ouvre à elle, avec son lot de contraintes et de tentations. Comme une page blanche sur laquelle on s’apprête à écrire et dont l’éclat nous éblouit au point de nous stopper dans notre élan. Qu’importent dès lors certaines invraisemblances négligeables. Entre thriller à haute tension et drame psychologique, ce film reste un spectacle de bonne tenue qui pose des questions identitaires passionnantes sans chercher à nous fournir pour autant toutes les réponses. Une façon comme une autre de laisser son libre-arbitre au spectateur sans lui livrer un film prémâché, ce qui est suffisamment rare pour mériter d’être souligné.
Jean-Philippe Guerand
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