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“Prima la vita” de Francesca Comencini



Il tempo che si vuole Film italo-français de Francesca Comencini (2024), avec Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano, Anna Mangiocavallo, Monterosi Daniele, Luca Massaro, Giuseppe Lo Piccolo, Luca Donini… 1h50. Sortie le 12 février 2025.



Fabrizio Gifuni et Romana Maggiora Vergano



Ce film est l’hommage d’une fille à son père. Ce père c’est le cinéaste Luigi Comencini réputé pour quelques-unes des plus belles comédies italiennes, son art de diriger les enfants et un pur chef d’œuvre, L’incompris (1967). Des filles, il en a eu quatre qui travaillent toutes dans le cinéma dont deux sont réalisatrices et veillaient sur lui comme à la prunelle de leurs yeux sur le plateau de ses derniers films. Parmi elles, Francesca, née en 1961, a débuté il y a tout juste quarante ans. Elle relate dans Prima la vita (qui reprend la devise de son père, “ D’abord la vie, puis le cinéma ”) comment son père l’a sauvée au cours des fameuses années de plomb, quand elle s’est réfugiée dans les paradis artificiels et que la drogue a bien failli l’emporter. Avec entre eux, outre une tendresse exceptionnelle, cette passion commune pour le septième art en tant que refuge qui faisait dire à François Truffaut que c’est quand on n’aime pas la vie qu’on aime le cinéma. Cette chronique intime dont l’un des fils rouges est la fabrication méticuleuse des Aventures de Pinocchio (1975) et la projection fantasmatique de sa baleine, vus à travers les yeux d’une adolescente confrontée à l’antichambre du rêve, en constitue une illustration magistrale par sa façon de se concentrer autour de ces deux protagonistes et de leurs relations les plus intimes. Il ne cherche jamais pour autant à placer des repères temporels autres que la situation chaotique de l’Italie en proie au terrorisme et à une extrême tension politique. Ce que documente Francesca Comencini, c’est la difficulté de grandir dans un contexte aussi anxiogène et de perdre malgré soi son aspiration élémentaire à l’insouciance à un âge où elle s’avère fondamentale pour aborder l’âge adulte avec un maximum de sérénité.



Fabrizio Gifuni



Cette chronique de la difficulté de grandir est transcendée par deux comédiens absolument prodigieux : Fabrizio Gifuni, qui porte la célèbre casquette de Luigi Comencini avec une rare élégance après avoir incarné Aldo Moro dans Piazza Fontana (2012) de Marco Tullio Giordana, et Romana Maggiora Vergano, totalement bouleversante dans le rôle de sa fille devenue adulte et rongée par son addiction générationnelle à l’héroïne. Un personnage que la cinéaste se garde bien de flatter, mais affronte sans jamais détourner son regard sur sa déchéance, même si elle affirme s’en être détachée au fil du tournage. Prima la vita est sans doute le film le plus abouti de sa réalisatrice qui en avait déjà esquissé les thèmes dès son premier film, Pianoforte (1984), et qui le dédie aujourd’hui à celui dont elle porte le nom et qu’elle remercie de la plus belle des manières de lui avoir sauvé la vie après la lui avoir donnée. Avec cette licence poétique qui consiste à ne jamais évoquer sa mère ni ses trois sœurs, pourtant bel et bien présentes dans leur vie. Comme si le père et la fille s’étaient retrouvés seuls au monde. Elle y exprime en outre sa passion absolue pour le cinéma comme un art de réconfort suprême quand on ne croit plus en rien. Une capacité de rêve et d’évasion qui passe dans son film par des séquences oniriques où l’écran fonctionne comme une véritable machine à remonter le temps et à se promener parmi les fantasmes de ses plus grands rêveurs, d’Entr’acte (1924) de René Clair à L’Atlantide (1932) de Georg Wilhelm Pabst (le premier film vu par Comencini père, alors âgé d’une quinzaine d’années et installé à… Agen), jusqu’à L’enfance nue (1968) de Maurice Pialat pour son rapport universel à cet âge déterminant. Rarement la magie du cinéma a suscité une mise en abyme aussi vertigineuse qu’en s’imbriquant de façon subliminale au quotidien de cette chronique pétrie de douleur et de réconfort.

Jean-Philippe Guerand







Romana Maggiora Vergano

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