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“Presence” de Steven Soderbergh



Film américain de Steven Soderbergh (2024), avec Lucy Liu, Chris Sullivan, Callina Liang, Julia Fox, Eddy Maday, West Mulholland… 1h25. Sortie le 5 février 2025.



Chris Sullivan et Callina Liang



Voici un film qui repose sur un pari élémentaire pour ne pas dire minimaliste. Il reprend la structure coutumière des œuvres consacrées aux maisons hantées. À cette nuance près qu'on a l’impression que c'est le fantôme lui-même qui tient la caméra. Une famille emménage dans son nouveau foyer où la fille est en proie à des phénomènes étranges qui échappent autant à ses parents qu’à son frère avec lequel elle s’entend comme chien et chat et entretient des rapports plutôt conflictuels. Au point qu’on se demande jusqu’à quel point elle possède toute sa raison et mériterait de consulter un thérapeute. La qualité du nouveau film de Steven Soderbergh réside dans son jusqu’au-boutisme assumé. Il s’appuie sur un postulat réduit à sa plus simple expression, mais développé par un scénariste associé naguère à Brian de Palma et Steven Spielberg, David Koepp, et déploie dès lors une virtuosité de tous les plans pour occuper la totalité de l’espace confiné dans lequel il se déroule. Les effets spéciaux se résument eux aussi à de légers décalages avec la réalité qui passent à la fois par l’image et le son. Sensible depuis ses débuts aux tours de force auxquels il aime à s’astreindre pour donner le meilleur de lui-même en repoussant les limites de son art, le réalisateur prodige de Sexe, mensonges et vidéo (1989) suggère davantage qu’il ne montre et diffuse une angoisse qui va crescendo en adoptant le point de vue de cette fille renfermée qui occupe une chambre visiblement hantée sur laquelle on en saura aussi peu à la fin qu’au début. Comme si cette histoire n’était elle-même qu’un éternel recommencement dont personne ne cherche vraiment à connaître l’explication. Avec tout de même un caractère inéluctable qui apparaît comme une voie sans issue.



Lucy Liu



Comme son titre le souligne justement, Presence nous invite à pénétrer dans un univers clos squatté par une entité qui chasse les intrus pour mieux asseoir sa possession. C’est même le principe fondateur du genre auquel appartient ce film qui ne cherche rien à expliquer et se termine à peu près comme il a commencé… à un détail près que nous nous garderons bien de dévoiler ici. La virtuosité de la mise en scène repose sur une caméra très mobile qui passe d’une pièce et d’un étage à l’autre pour traduire l’angoisse de la fille qui s’isole peu à peu de son frère et de ses parents, tout en étant la seule à communiquer avec le phénomène qui la tourmente. Soderbergh se refuse à matérialiser la menace que sa famille met sur le compte des perturbations inhérentes à l’adolescence. Dès lors, il ne montre que les phénomènes paranormaux qu’elle est la seule à percevoir et va jusqu’au bout de son propos sans chercher à corroborer, à infirmer voire à minimiser ses angoisses. On retrouve dans son approche une faculté parfois associée à cet âge dit ingrat qui se manifeste par une hyper-sensibilité en transformant les victimes en menace, comme c’est le cas par exemple dans Carrie (1976) de Brian de Palma. Un exercice de style régi par un cahier des charges qu’aborde ici le metteur en scène en se démarquant des deux tendances principales qu’il a engendrées : les franchises Amityville et Paranormal Activity, lesquelles misaient l’une et l’autre sur la surenchère et le spectaculaire. Presence nous invite à une expérience beaucoup plus cérébrale dont le pouvoir de suggestion s’avère au moins aussi angoissant malgré une économie d’effets assumée.

Jean-Philippe Guerand






Lucy Liu, Chris Sullivan, Callina Liang
Julia Fox et Eddy Maday

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