Keyke mahboobe man Film irano-franco-suédo-allemand de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha (2024), avec Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani, Soraya Orang, Homa Mottahedin, Sima Esmaeili, Aman Rahimi, Azim Mashhadi… 1h36. Sortie le 5 février 2025.
Les cinéastes iraniens possèdent une force de résilience unique qui leur permet de continuer à s’exprimer dans les conditions les plus extrêmes et de déjouer la censure en nous donnant des nouvelles régulières de leur pays grâce à des subterfuges d’une inventivité sans cesse renouvelée. Mon gâteau préféré nous en offre une nouvelle preuve à travers l’histoire somme toute banale d’une septuagénaire de la classe moyenne nullement disposée à tirer un trait définitif sur sa sexualité qui va entreprendre de séduire un vieillard grâce à ses talents culinaires. Avec tous les risques que cela suppose de part et d’autre. La première audace du film réside dans la personnalité de cette célibataire plutôt âgée qui ose prendre des initiatives et s’accroche à son indépendance dans une société traditionnelle et répressive agitée par le mouvement d’émancipation Femme, Vie, Liberté. Les réalisateurs Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, dont on avait déjà apprécié le premier long métrage en commun, Le pardon (2021), ont fait les frais de leur audace quand leur film a été sélectionné en compétition à la Berlinale (où il a été doublement primé) et qu’ils se sont vu retirer leurs passeports donc le droit d’aller le présenter à l’étranger. C’est sans doute son fort potentiel populaire qui a valu les foudres des Mollahs à cette comédie de mœurs dont le propos est universel. La libido des seniors n’est en effet pas vraiment un thème en vogue, alors qu’il s’agit d’une préoccupation sans doute de plus en plus d’actualité dans le contexte d’un allongement spectaculaire de l’espérance de vie et de ce stimulateur de virilité que constitue le viagra, d’ailleurs évoqué dans le film.
Lili Farhadpour et Esmaeel Mehrabi
Mon gâteau préféré est indissociable de ses deux interprètes principaux, Lili Farhadpour et Esmaeel Mehrabi, qui apparaissent comme des révélations alors qu’ils possèdent l’un et l’autre une filmographie longue comme le bras. La mise en scène s’attache à leur ballet amoureux, en soulignant leur attraction réciproque avec une immense délicatesse. Le fait qu’un tel film soit voué aux gémonies des censeurs de la République islamique en dit long sur la paranoïa d’un régime qui a pris les femmes en grippe et mène à leur encontre une croisade absurde et vouée à l’échec. C’est par la tendresse et l’humour que Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha répliquent à une situation devenue absurde, alors même que c’est en repoussant les limites de la comédie romantique traditionnelle qu’ils offrent une nouvelle réussite éclatante à leur cinéma national sur un registre universel que les Occidentaux ont mondialisé avec succès, d’Hollywood aux productions britanniques de la société Working Title, à travers des succès planétaires. La spécificité de Mon gâteau préféré consiste à aborder ce genre balisé comme un phénomène de société. Quitte à s’appuyer pour cela sur un retournement inattendu qui s’avère très efficace et ajoute une touche de gravité imprévue à ce qui ressemblait jusqu’alors à la plus improbable des romances. Mais chut ! C’est au spectateur de juger de la pertinence de cette rupture de ton vraiment audacieuse et de la dimension inattendue qu’elle confère à cette brève rencontre à Téhéran.
Jean-Philippe Guerand
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