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“Les damnés” de Roberto Minervini



The Damned Film belgo-canado-italo-américain de Roberto Minervini, avec Jeremiah Knupp, Rene W. Solomon, Cuyler Ballenger, Timothy Carlson, Noah Carlson, Judah Carlson, Bill Gehring… 1h29. Sortie le 12 février 2025.





Documentariste de renom, dont très peu de films sont parvenus à ce jour au public français, malgré une forte présence dans les festivals, le réalisateur italien Roberto Minervini passe aujourd’hui à la fiction avec cet attachement viscéral au cinéma du réel qui le caractérise. Les damnés dans un territoire à mi-chemin entre La rivière du hibou (1961), le court métrage que Robert Enrico avait tiré d’une nouvelle d’Ambrose Bierce, pour la tentative de s’approprier d’Europe une partie de l’histoire des États-Unis, en l’occurrence la période cruciale de la guerre de Sécession, et du Désert des Tartares de l’écrivain transalpin Dino Buzzati pour sa thématique universelle et métaphorique de l’attente. Le cinéaste y retrace au cours de l’hiver 1862 la mission d’une unité confédérée chargée de patrouiller dans des territoires de l’Ouest encore inexplorés où se sont repliés des Indiens expulsés de chez eux par les pionniers. De ces combattants embusqués, on ne percevra guère que les coups de feu avec lesquels ils repoussent ces envahisseurs. Il plane sur ce film lapidaire et dépouillé le poids d’un hors-champ étouffant d’où peut surgir à tout moment un danger qui terrifie ces hommes en bleu confrontés à une mission impossible dans un environnement hostile. Leur situation rappelle en fait celle de ces explorateurs européens partis à la conquête de terres inexplorés et confrontés brusquement à des civilisations inconnues dont ils ne partageaient ni la langue ni les mœurs.






Minervini réussit la prouesse d’adopter le point de vue de ces envahisseurs en uniforme, tout en prenant le parti des invisibles comme il l’a toujours fait. Il s’attache au quotidien de ces soldats perdus qui se contentent de répondre aux ordres, quitte à se faire trouer la peau dans des circonstances absurdes qui les réduisent au rang de cibles mouvantes. Avec en toile de fond une Amérique à l’âge ingrat qui n’a pas encore posé les bases d’une civilisation adulte, faute d’être parvenue à s’unifier. Ce film s’inscrit dans la continuité logique des opus précédents de ce réalisateur transalpin qui s’est fait connaître grâce à ce qu’il qualifie lui-même de trilogie texane : The Passage (2011), Low Tide (2012) et Le cœur battant (2013), le seul à être sorti en France. Il a signé par la suite deux autres docu-fictions sociologiques sur les laissés-pour-compte de l’Amérique profonde : The Other Side (2015) et What You Gonna Do When the World’s on Fire ? (2018). Les damnés marque donc son passage déterminant vers la fiction, avec des interprètes toutefois non-professionnels et une forme délibérément épurée, sous le signe d’un passé destiné à éclairer le présent. Ce film superbe qui devrait passionner les amateurs de westerns malgré son refus du spectaculaire constitue en outre le plus radical des contre-poisons contre l’idéologie trumpiste, en s’attachant une fois de plus à la face cachée de l’Amérique : celle qui ne cesse de payer les pots cassés et de subir ses velléités impérialistes en combattant au nom de sa grandeur déchue.

Jean-Philippe Guerand






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