Film français de Frédéric Farrucci (2024), avec Alexis Manenti, Mara Taquin, Théo Frimigacci, Paul Garatte, Marie-Pierre Nouveau, Michel Ferracci, Jean Michelangeli, Luiza Benaïssa, Dominique Colombani, Enzo Porsia, Pietro Porsia, Marc Memmi, Anthony Morganti, Félicia Viti, Marcandria Gonzalez, Andrea Cossu, Didier Ferrari… 1h27. Sortie le 12 février 2025.
Alexis Manenti
Un berger corse se voit proposer par un intermédiaire la vente des terres où paît son troupeau afin d’y édifier un programme immobilier. Mais l’affaire tourne mal et il se trouve obligé de prendre le maquis (à tous les sens du terme) afin d’échapper à la Mafia locale et aux forces de l’ordre lancées à ses trousses par le caïd dont il a abattu le fils. De ce point de départ qui aurait pu donner lieu à un western ou à un thriller, Frédéric Farrucci tire une réflexion audacieuse sur les contradictions de l’île de Beauté où le respect de ses traditions et de son identité semble incompatible avec le développement anarchique de son potentiel touristique. Son personnage principal est par ailleurs un héros malgré lui dont les réseaux sociaux vont faire le porte-parole taiseux d’une population autochtone réduite au silence par ceux qui prétendent imposer leur loi, quel que soit le camp qu’elle ait choisi. Et c’est là où ce film qui brise en quelque sorte la fameuse omerta corse devient passionnant par sa détermination à emprunter un itinéraire bis en laissant s’exprimer ceux qu’on n’entend jamais parler derrière l’anonymat de leur ordinateur. Comme le souligne le surnom de son personnage, le “Mohican” est quant à lui un simple enfant du pays que de vulgaires truands habillés en promoteurs transforment en mouton enragé (c’est le cas de le dire) sous couvert de le déposséder de sa terre donc de sa raison de vivre. On retrouve là une thématique abordée à plusieurs reprises par le cinéaste italien Francesco Rosi, de Main basse sur la ville (1963) à Cadavres exquis (1976), et un cadre qui a inspiré récemment des réussites comme À son image de Thierry de Peretti ou Le royaume de Julien Colonna qui en cernaient bien l’esprit.
Mara Taquin
Le Mohican est indissociable de son interprète principal, Alexis Manenti, jamais aussi à l’aise que lorsqu’il évolue dans le non-dit. Il trouve dans ce personnage qui préfère les gestes à la parole une occasion formidable de s’en emparer de l’intérieur grâce à une économie de mots dont Frédéric Farrucci exploite à merveille le potentiel dramaturgique, aux antipodes de son premier long métrage, La nuit venue (2019), exercice de style audacieux qui réunissait deux personnages dans un taxi parisien pour une entreprise de séduction au long cours. Il adopte cette fois un postulat à peu près inverse pour orchestrer une chasse à l’homme dont l’issue ne semble faire aucun doute. Avec cette valeur ajoutée qui s’est substituée au bouche-à-oreille et à la rumeur, tout en colportant son lot de fake news, en donnant la possibilité aux internautes d’agir instantanément et dans une clandestinité digne de Radio Londres pour s’ériger en véritable puissance solidaire en protégeant un homme seul chassé comme un vulgaire gibier. Le discours de ce film s’impose en outre par son audace en désignant les prédateurs, non pas comme venus du continent, mais issus de ce territoire insulaire qu’on décrit souvent tiraillé entre vacanciers irrespectueux et autonomistes amateurs de nuits bleues. La réalité est infiniment plus complexe et ce film la renvoie à un combat éternel entre la tradition et la modernité dans une île paradisiaque qui a compris que sa richesse réside dans le respect de son patrimoine naturel plutôt que dans un afflux exponentiel d’envahisseurs prêts à tout pour du soleil.
Jean-Philippe Guerand
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