Film français de Costa-Gavras (2024), avec Denis Podalydès, Kad Merad, Marilyne Canto, Angela Molina, Charlotte Rampling, Hiam Abbass, Karin Viard, Agathe Bonitzer, Elisabeth Quin, Xavier Legrand, Alexandra Jacqmei, Nicolas Benoist, Jade Phan-Gia, Emmy Fouassier… 1h39. Sortie le 12 février 2025.
Marilyne Canto et Denis Podalydès
Il n’est aucun sujet qui effraie Costa-Gavras. Dans son avant-dernier film, Adults in the Room, il décryptait la crise de la dette grecque vue depuis les instances européennes à travers le livre touffu consacré à ces heures sombres par l’ancien ministre Yánis Varoufákis. Une entreprise de vulgarisation d’autant plus magistrale qu’elle prenait essentiellement pour cadre des réunions de technocrates au langage parfois sibyllin. Son nouveau film constitue lui aussi un défi, à la fois par son sujet austère et sa matière originelle, un ouvrage de conversations entre le philosohe Régis Debray et le praticien hospitalier spécialisé en douleurs chroniques et soins palliatifs Claude Grange intitulé “Le dernier souffle. Accompagner la fin de vie” (Gallimard, 2023). Il est par ailleurs évident qu’un tel sujet traité par un réalisateur nonanégaire, même s’il n’a jamais puisé auparavant dans son vécu la substantifique moelle de son œuvre, répond de sa part à un questionnement légitime suscité par son grand âge. Restait à établir une correspondance cinématographique à partir de cette réflexion à deux voix. Fidèle à son engagement, le réalisateur a choisi pour cela de mettre en scène la complicité d’un écrivain passablement hypocondriaque avec un médecin confronté dans son quotidien à la fin de vie sous ses formes les plus multiples qui s’est fait une raison d’accompagner ses patients de vie à trépas en s’adaptant en permanence à leurs particularités sans jamais les juger autrement que comme des humains en quête de sérénité. Le film chemine ainsi au gré des rapports de ces deux humanistes, au fil de situations plus ou moins tragiques où la paix finit toujours par l’emporter sur la souffrance.
Le dernier souffle n’est ni douloureux ni même solennel. Il s’agit plutôt d’une entreprise d’apprivoisement du trépas qui emprunte de multiples itinéraires, selon l’âge, la condition, l’origine et l’état des patients concernés. Des gens qui aspirent à s’effacer dans la douceur et une certaine sérénité grâce à un médecin attentif toujours à l’écoute et sensible à cette problématique sur lequel les pouvoirs publics tardent à légiférer. Il faut savoir que selon Claude Grange, l’offre est de trois mille lits pour une demande annuelle de… deux cent mille personnes. C’est dire combien cette question apparaît insoluble dans le contexte actuel. Le film de Costa-Gavras a le mérite d’assumer son parti-pris et de proposer un aperçu des cas les plus divers, l’occasion pour le réalisateur de réunir une distribution particulièrement foisonnante et toujours très juste, de la mama gitane fêtée en musique que campe Angela Molina aux femmes remarquables incarnées par Charlotte Rampling, Hiam Abbass et Karin Viard. Le film évite toutefois habilement les pièges de l’énumération, en prenant le risque de faire apparaître et disparaître la plupart de ses protagonistes, sans pour autant en sacrifier aucun, leur souvenir s’imprimant au fur et à mesure dans l’esprit du profane interprété par un Denis Podalydès inquiet en permanence et de son interlocuteur toujours à l’écoute auquel Kad Merad apporte toute sa bienveillance naturelle, barbe noire et blouse blanche. Cette somme de réflexions sur la mort pleine de bon sens et d’altérité s’impose avant tout comme une ode apaisée à la vie en tant qu’expérience limitée dans le temps. Certains y entreverront sans doute aussi le testament cinématographique d’un réalisateur d’une dignité exemplaire qui n’aura jamais baissé les bras face aux tabous et aux imperfections du monde.
Jean-Philippe Guerand
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