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“La peine” de Cédric Gerbehaye



Documentaire belgo-français de Cédric Gerbehaye (2023) 1h30. Sortie le 5 février 2025.





La prison est un décor qui fait fantasmer le cinéma depuis toujours. Que ce soit sur le registre de la fiction ou du documentaire, on a parfois l’impression d’en avoir fait le tour sous toutes les latitudes et à toutes les époques. La peine s’attache à deux centres de détention situés à proximité immédiate de Bruxelles, Forest et Saint-Gilles, où les réalisateurs ont pris le temps d’observer la vie quotidienne des détenus, leurs gardiens et le personnel administratif de 2016 à 2022. Un voyage au long cours filmé en noir et blanc qui montre ce qu’on ne devrait pas voir : des conditions d’incarcération qui déshumanisent les prisonniers et où ceux qui tiennent à se retrouver seuls doivent renoncer en contrepartie à disposer d’un robinet et d’eau dans leur cellule Des geôles vétustes, on en a souvent vues à l’écran, notamment dans Des hommes (2019), ce documentaire d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, où le délabrement de la prison des Baumettes apparaissait dans toute son horreur, comme emblématique d’une situation non seulement grave mais désespérée. La peine va beaucoup plus loin et son titre joue sur une confusion assumée entre la condamnation à endurer et la douleur qui accable ceux qui en sont victimes pour avoir été jugés coupables. Certains travaillent, d’autres s’évadent à travers les jeux vidéo, les chaînes info, le rap, le travail ou l’instruction. Tous les moyens sont bons pour que le temps passe plus vite. Quant à la pandémie de Covid-19, dans cette atmosphère de confinement institutionnalisé, elle se résumera au port du masque.





Ce film nous introduit dans l’intimité des prisonniers comme des gardiens en s’attardant sur leurs relations. Un quotidien répétitif où le prix de la survie passe par l’instauration de rituels parfois répétitifs qui se caractérisent par leur aspect rassurant et une quête existentielle qui passe pour chaque détenu par un souhait partagé d’être seul et un souci de personnaliser ses quelques mètres carrés d’intimité. La caméra s’insinue parmi ces existences et observe sans les juger ces prisonniers dont on ignore les raisons qui les ont menés là, mais dont on entraperçoit des bribes d’existence à travers les visites qu’ils reçoivent et ces parloirs qui les relient au monde extérieur comme un fil ténu. À l’image de cette visiteuse apprêtée et menottée qui rend visite à son amoureux en fourgon cellulaire ou de ces bébés nés pendant la détention de leurs mères. L’usage du noir et blanc contribue à détemporaliser cette immersion où aucun protagoniste n’est soumis au moindre jugement de la part d’un réalisateur également photographe qui s’est donné les moyens de ses ambitions et prend ses distances avec les documentaires déjà consacrés à cet univers qui a si souvent fait fantasmer le cinéma pour le transformer en l’un de ses décors de prédilection, le poids de la routine se substituant aux figures imposées immortalisées par le film noir avec plus ou moins de réalisme. Pas question ici de juger, de condamner, de plaindre ou d’innocenter. Tel n’est pas le propos de ce portrait de groupe foisonnant qui s’achève par le départ du directeur et le transfert des détenus vers un nouvel établissement pénitentiaire plus moderne. Comme pour infirmer la citation de Mark Twain placée en exergue de ce film : “ Celui qui ouvre une prison doit savoir qu’on ne la fermera plus. ”

Jean-Philippe Guerand






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